LA FACE CACHÉE DE LA VOYANCE *

                         Économiquement, cette activité   est une réussite exemplaire.
                         Pourtant ce constat marque une réalité moins radieuse.

Sur le plan économique, la voyance représente une activité au succès radieux. Mais ce constat ne dissimule-t-il pas dans l’ombre une autre face, plus sombre, sur laquelle une mise en lumière révélerait des aspects bien moins glorieux ? Les arts divinatoires, malgré leur expansion et leur intégration dans un système et des habitudes sociales, n’ont jamais été soumis à aucune réglementation sérieuse. Aussi, les escrocs et charlatans de toutes sortes ont, au cours des dernières décennies, exploités ce vide juridique avec une efficacité redoutable. Le monde de la voyance, très diversifié, affiche une santé entrepreneuriale sans précédent, mais les méthodes utilisées paraissent souvent plus que douteuses: en particulier sur le web, la propagande commence par le soutien de groupes de presse dont la rentabilité est assurée par des publicités mensongères ; des éditeurs sans conscience publiant le pire, des offres de consultations par téléphone , sans aucune garantie professionnelle. Les arts divinatoires dans notre société sont omniprésents. Les enquêtes effectuées démontrent que la voyance, sous toutes ces formes, touche huit à dix millions d’individus en France. Si notre pays se targue d’être l’héritier de la pensée cartésienne, il est aussi héritier de celle d’Allan Kardec. Il est difficile de dresser un profil psychologique type du consommateur de voyance car le phénomène touche toutes les strates socioprofessionnelles de la société mais aussi tous les tempéraments, indépendamment du niveau d’éducation ou de culture. L’attirance pour le paranormal ne semble pas contradictoire avec une société parvenu à l’ère du multivers et de l’ordinateur quantique. Dans un contexte où justement les technologies de pointe facilitent les abus mercantiles, cent mille praticiens (le nombre exact est inconnu à la faveur d’un manque de recensement sérieux) se partagent le marché. N’importe qui peut théoriquement se livrer à cette activité puisqu’aucun diplôme ou reconnaissance d’un collège officiel n’existent à ce jour, pas plus qu’aucune obligation de résultats n’est exigée par la nature même de l’exercice. Incurie et profits importants, voilà donc une aubaine à saisir, et les charlatans ne s’en privent pas. Le tarif d’une consultation peut varier de cinquante à plusieurs centaines d’euros d’euros selon la notoriété et le pouvoir d’influence du praticien. Quant à la durée, seule la notion de rendement est prise en compte. Normalement, un vrai voyant ne peut assumer plus de quatre à cinq consultations par jour en raison de la fatigue mentale occasionnée par la concentration et le contact avec le flux informationnel intuitif. Mais certains individus moins intègres, pour améliorer leurs fins de mois, pratiquent des « travaux occultes » : retour d’affection, envoûtement, etc… Grâce à la modique somme de cinq mille euros pour un « marabout de quartier » et jusqu’à dix mille euros pour le voyant bien installé, vos problèmes d’affection, de libido, de budget, de travail et autres seront résolus et même vos fantasmes les plus intimes seront réalisés ! Avec paiement en espèce, sans traçabilité, si possible. Le constat est évident : sans réglementation efficace, la pratique des arts divinatoires devient une entreprise d’exploitation de la crédulité et de la peur. Pire encore, la pratique frauduleuse endommage la profession et discrédite toujours plus les véritables voyants dotés du don réel. Les méthodes les plus brutales sont mêmes pratiquées sans aucun scrupule : terroriser certains clients en les persuadant qu’un proche est en péril, par exemple, afin de susciter un état émotionnel incontrôlable et, ce faisant, générer un comportement d’achat (ici de consultation) frénétique. Exemple fréquent : « Vous êtes envouté(e) : si je n’effectue pas un désenvoûtement immédiat, votre enfant peut mourir! » DES RECOURS ?
En jouant sur le facteur émotionnel au moyen de méthodes de conditionnement très au point, le piège est en place. Commence dès lors pour le consultant une spirale cauchemardesque ou se mêlent la peur, physique et morale, la honte de s’être laissé enfermer dans ce cercle vicieux, et la culpabilité de payer. Car l’objectif est bien celui-ci ; déclencher une compulsion de répétition, générant une cascade de paiements destinés à combler l’angoisse créée par l’aversion à la perte. Certaines personnes iront même jusqu’à vendre leurs biens. Comment s’en sortir ? A qui s’adresser ? Peu de personnes portent plainte car les preuves tangibles sont minces et les recours quasi inexistants. Les victimes développent ainsi un sentiment d’abandon, d’amertume et d’injustice sans trouver de voie de sortie. Le vide juridique et peut-être un certain laxisme institutionnel encouragent les escrocs à continuer sans crainte, peu impressionnés par la faiblesse répressive de la législation. Certains s’en amusent même et s’en moquent ouvertement. CELA N’ARRIVE QU’AUX AUTRES ! « Le procureur de la république n’est pas le tuteur des imbéciles » nous rappelle le Droit Français. Mais ce même droit ne nous indique pas s’il existe une limite anthropologique à la stupidité ! Encore une fois, face à l’absence d’une réglementation spécifique, l’appel au bon sens fait loi. Mais chacun est-il égal en terme de compétence cognitive ? Comment un avocat (« ad vocatus » - celui qui donne sa voix à celui qui n’en a pas) peut-il défendre une personne s’il n’existe pas de reconnaissance du délit et que la victime, un crétin, à en croire le Droit, relève plus du médical que du légal ? Décidément, on tourne en rond… Dans l’éventail des arnaques imaginées par les usurpateurs de la voyance, nul ne peut affirmer: « cela ne m’arrivera pas » ! Les profiteurs de doutes individuels sont habiles pour décrypter la vulnérabilité. Les malheurs n’arrivent pas qu’aux autres. Chacun est susceptible un jour de subir un drame qui le ou la fera flancher. N’importe qui peut être un jour frappé(e) du désespoir et dériver vers les comportements les plus irrationnels. La souffrance appelle la déraison. Par ailleurs, le danger s’immisce à tous les niveaux de la société : les escrocs déstabilisent le système en prenant des parts de marché aux médecins, psychanalystes, agences matrimoniales etc…Ils utilisent à leur avantage les célébrités, connues pour leur instabilité et leur naïveté émotionnelle, mais qui détiennent un pouvoir d’influence sur le public, pour promouvoir leurs arnaques. La liste des interventions malhonnêtes serait fastidieuse, mais rappelons-nous du scandale de la « bague de Ré » qui ouvrit les portes de la prison à Danielle Gilbert. Pour conclure, les activités frauduleuses des faiseurs d’argent n’ont plus de limites tant l’avidité dévorante détruit tout sur son passage. Nos lecteurs bienveillants auront bien compris qu’il ne s’agit pas ici de discréditer les arts divinatoires, mais de les distinguer de la face obscure, malsaine, créée par les escrocs. Cette situation humainement dramatique est intolérable, il est grand temps d’agir sur cette partie assombrie de l’astre de la profession. L’irrationnel dispense un impact prodigieux sur les consciences par son potentiel d’espérance. Mais ceux qui ne vivent que d’espoir meurent de faim. Donnons-leur la guidance claire, honnête et reconnue qui les rassasiera et les (re)mettra sur les rails de leur cheminement dont ils seront les maîtres à tout moment. Un individu fragilisé, vulnérabilisé, englué dans des problèmes apparemment sans issue représente le terrain le plus favorable pour les faux voyants. Réceptif aux chimères, l’individu en quête d’espoir hypothèque son avenir à un faiseur de vent. Plus dure sera la chute. Une société qui tolère de telles victimes et de tels coupables ne peut être que dans le déni de ses difficultés. Ne pas venir en aide à un tel individu, c’est le mener au sacrifice. Si rien ne change rapidement, il deviendra légitime de se poser la question : jusqu’où va-t-on descendre ? P.Bajou (Ancien Vice-Président de l’INAD) *Article réactualisé

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