Confessions d'une Voyante

Rose-Anne Vicari a exercé en qualité de voyante durant deux ans sous le pseudonyme d’Enora. Elle pratiquait en cabinet audiotel et en consultation privée. Dans son ouvrage, Confessions d’une voyante paru aux Editions Max Milo, elle ne pratique pas la langue de bois. Dès le début, le ton est donné. Sans concessions, elle ose dénoncer l’envers du décor qui est loin d’être aussi idyllique que veulent nous le faire croire les margoulins de la voyance.

Confessions d'une VOYANTE

Youcef SISSAOUI, président de l’INAD, a accepté d’écrire la postface de ce livre, reflet du monde ésotérique et de ses dérives. Il oeuvre lui-même depuis de longues années pour instituer une certaine déontologie au sein des arts divinatoires, pour obtenir de la part de l’Etat une reconnaissance de ces métiers afin qu’il puisse y avoir un contrôle de leur pratique et que les clients abusés puissent obtenir une condamnation des escrocs. En attendant, l’INAD n’hésite pas depuis de longues années à dénoncer et combattre les pratiques détestables de certains voyants, les escroqueries et les abus de toutes sortes. Enfin, par le biais d’un service juridique pointu, l’Inad aide psychologiquement et juridiquement les victimes de ces charlatans.

L’histoire de Rose-Anne est toute simple. C’est celle d’une femme devenue voyante un peu malgré elle, qui se lance dans le métier afin de stabiliser une situation précaire. Et qui pourrait la blâmer dans cette époque particulièrement difficile où la majorité des citoyens estiment que la solidarité est une affaire d’Etat et non l’œuvre quotidienne de chacun d’entre nous? Rose-Anne Vicari a toujours eu des dons, et petit à petit, elle les exerce à titre privé par le biais de la cartomancie. Et puis un jour, elle se sent prête pour tenter l’aventure qui consiste à faire de la voyance son métier. Las, elle découvre vite la réalité du milieu et de tout ce qui se trame dans l’univers de la voyance. Elle va connaître des situations invraisemblables, faites de manipulations et de mensonges. Une mare nauséabonde de charlatans qui oeuvrent sans vergogne dans le monde des arts divinatoires. Ce monde que l’Inad dénonce depuis plus de 25 ans. Rose-Anne Vicari est vite devenue un de ces nombreux pantins qui travaillent sous les ordres de dirigeants sans foi ni loi, de cabinets où tous les coups sont permis dans le seul but de faire du profit.

Elle réalise que pour bosser dans ce milieu, il n’est nul besoin de qualification et que le client n’a guère de possibilité de les vérifier. Donc le client se confie à de parfaits inconnus. Il délivre ses doutes, ses secrets les plus intimes, les plus ardus, parfois les plus inavouables à des personnes qui non seulement ne pratiquent pas la voyance, mais n’ont aucune connaissance en matière de psychologie. C’est vrai que sur audiotel tous les chats sont gris. Rose-Anne Vicari découvre aussi qu’il faut juste savoir convaincre l’autre. Le convaincre de ses dons, de son pouvoir, de sa volonté d’aider son prochain. Se proclamer voyant serait donc à la portée du premier venu. Il suffit de le faire savoir et de le faire croire. N’importe qui peut s’improviser voyante, à partir du moment où l’on sait bien s’exprimer, avec politesse, courtoisie et par-dessus tout, persuasion. Etre voyant se résumerait bien souvent à savoir juste communiquer avec talent pour valoriser son image, gagner la sympathie du public, savoir garder le client 30 minutes en ligne, le brosser dans le sens de ses convictions, lui raconter tout et n’importe quoi du moment que c’est ce qu’il veut entendre.

Rose-Anne Vicari effectue ainsi 4 heures dispersées dans la journée, des semaines pour le moins bancales, travaille le week-end, certes sans frais depuis chez elle avec une ligne téléphonique, le tout pour 4,50 euros de l’heure. Qui travaillerait autant et pour être si peu rémunéré ? Mais elle œuvre, sûre de ses dons et de l’aide qu’elle pense apporter aux gens. Les bases de calcul sont autant variables : trafic clientèle, appels traités, appels en attente, temps réel, temps moyen de communication, temps programmé, temps généré, ratios divers… Bref, une rétribution noyée dans de multiples critères dont le seul but est d’exploiter une personne sincère (la voyante) pour arnaquer une autre personne sincère (le client). Rose-Anne ne perçoit que 30% sur les honoraires de consultation. Pour atteindre son objectif qui est de gagner 500 euros par mois, elle cumule les heures au téléphone. Elle enchaîne les clients. Le moins que l’on puisse dire, c’est que tout cela ressemble à du stakhanovisme poussé à l’extrême. Facile, dans la voyance, il n’y a pas de syndicat et la majorité des personnes travaillant pour les cabinets audiotel ne sont pas salariées. Elles ont un statut de travailleur indépendant ce qui les rend corvéables et malléables à merci. D’un côté comme de l’autre de la ligne du téléphone, les personnes sont grugées et exploitées. Car, comme dans les autres secteurs économiques, les petits indépendants ont laissé la place à des entreprises spécialisées. Des personnes qui ont compris que la voyance représentaient un énorme marché, ont créé des cabinets de voyance, installés une plateforme téléphonique et enrôlé des vrais voyants comme des gens sans la moindre connaissance en arts divinatoires ni en psychologie. Ces entreprises engrangent des bénéfices impressionnants avec un investissement faible. Leur seule capacité consiste à exploiter des personnes en recherche de ressources pour gruger des personnes en détresses physique et psychologique. Leur seul intérêt est la manipulation des uns et des autres dans le but de faire des profits. Leur vision de la voyance correspond en tout point à celle d’un casino, source de dépendance reconnue et de souffrance au détriment des consommateurs et exploitation de leurs prestataires. A une différence près: l’exploitation des casinos est reconnue, réglementée et très contrôlée.

En se lançant professionnellement dans la voyance, Rose-Anne se voulait sincère. A travers cette expérience, elle en a beaucoup appris sur le coté sombre du genre humain. La consultation publique est un étalage impudique de ses problèmes les plus intimes. Mais à l’heure où des tas de gens exhibent leur vie privée sur internet, il ne faut pas s’étonner que des personnes en détresse s’ouvrent à n’importe qui. Les clients sont prêts à dépenser de l’argent pour tenter d’obtenir des solutions miracles, pour entendre que leurs vœux se réaliseront, quittes à se ruiner. Ils sont prêts à tout et ne veulent entendre que les interprétations qui les arrangent. On vacille entre sagesse relative et déraison, parfois agressivité. Rose-Anne Vicari s’aperçoit que les gens consultent pour tout et n’importe quoi, loin de la recherche de l’amour, de l’inquiétude financière, de l’espoir d’une brillante carrière…. Elle côtoie tous les jours la tristesse, la peine, le chagrin. La voyance est aussi une aide qui sert à surmonter des moments difficiles. Et cela, les margoulins de la voyance l’ont vite compris et ont mis tout en œuvre pour répondre à cette attente.

Rose-Anne Vicari en est donc arrivée à utiliser toujours les mêmes termes peu importe le cas. C’est à partir de ce moment-là qu’elle a compris que cela devenait malsain. L’envie la démange alors de tout envoyer promener avec fracas et de se libérer de l’exploitation du mal-être de ses clients. L’idée d’abuser de la misère psychologique des autres lui est devenue insupportable. Elle en a eu assez. De a voyance détournée de son but, entreprises spécialisées dans l’arnaque, âmes désemparées, exploitation de la précarité des prestataires : un mélange des genres depuis longtemps dénoncé par l’Inad, un mélange des genres qui lui paraissait de moins en moins acceptable. Plus elle avançait dans son constat d’une voyance dévoyée par les spécialistes de l’arnaque, plus elle se distanciait de ces pratiques, de son implication et du rôle qu’on l’obligeait à jouer. En définitive, plus elle pratiquait la voyance, moins elle se sentait à l’aise, plus elle entrait en colère vis-à-vis de ce qui s’y faisait. Elle a préféré arrêter et se retrouver en accord avec elle-même et ses principes. La voyance ne lui apparaissait plus comme l’utilisation d’un don pour venir en aide à ses concitoyens. Elle a donc laissé ses illusions dans cette expérience.

Le témoignage de Rose-Anne Vicari montre que les consommateurs devraient être réellement informés, dans un cadre légal, sur les compétences des voyants pour diminuer les risques d’arnaque (il y en aura toujours, comme partout), avoir la possibilité de faire un tri sérieux parmi tous les praticiens, et ne pas se laisser abuser par des stratégies qui ne sont, en définitive, que du marketing. Il paraît urgent aujourd’hui de réglementer cette profession, d’en fixer le cadre juridique, social et déontologique. L’encadrer éviterait assurément les tromperies et donc les grandes souffrances infligées à tous ceux qui consultent, mais également l’exploitation abusive de voyants.

Voici un livre pour le moins édifiant et unique en son genre qui apporte une vraie réflexion. Pratiquer la voyance serait aider son prochain. En est-on sûr à la lecture de cet ouvrage ? Après l’avoir parcouru, il est certain que vous ne regarderez plus le monde de la voyance de la même manière. Mais au moins, vous serez informés.

MarieChristine

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