Clientèle dévote.

Tout comme un piège nécessite un appât pour être opérationnel, l’escroc en voyance ne serait rien sans de fidèles faire-valoir évoluant de plein gré dans leur ombre.

Ces « appâts humains » n’ont le plus souvent même pas conscience d’en être.  Ces personnes sont même persuadées d’agir en leur nom propre quand elles louangent de façon immodérée tel voyant, ou qu’elles défendent âprement telle position discutable. Le mot « libre arbitre » revient d’ailleurs assez étrangement dans leurs propos, comme si elles devaient inlassablement se justifier de leur conduite. Je comprendrai le lecteur objectant que l’admiration qui force le respect, ou toute autre forme de sympathie désintéressée envers autrui ne sont pas forcément synonymes de soumission irrationnelle. On peut,  effectivement, admirer une personne pour ses idées ou ses actions sans pour autant laisser derrière soi tout sens critique ou tout individualisme.

Cependant, j’ai pu, lors de mon année d’observation sur le forum de Wengo, noter quelques déviances qui ne relevaient plus de la simple manifestation d’amitié ou de respect.  Il s’agissait là de véritable adoration, de déférence  déplacée, de loyauté indéfectible de la part de certains consultants envers leurs voyants. L’un de ces consultants a immédiatement retenu mon attention : il s’agissait d’une femme répondant au pseudonyme d’Ushuaia, qui attendait désespérément, et ce depuis des années, la réalisation d’une prédiction d’ordre sentimental, au point d’être omniprésente sur le forum comme sur les fiches de notation des voyants. L’amour rend aveugle, comme chacun sait, mais jamais ce dicton ne parut si vrai chez une personne.   Chaque retour positif émis par les intervenants du forum de Wengo était accueilli par de chaleureux vivas de sa part, parce qu’il « lui faisaient du bien », selon ses dires. Chaque retour négatif était par contre reçu de manière franchement déstabilisante.

Ushuaia reboutait le client mécontent par divers procédés qui incitaient tous au découragement, en doutant notamment de la bonne foi de l’intervenant (tantôt soupçonné de manquer de recul ou d’objectivité, tantôt de n’avoir pas attendu « assez longtemps », puisque le temps serait « élastique » en voyance), ou en apposant parfois un commentaire parfaitement contradictoire à la suite du compte-rendu négatif (« tu es sûr ? Pour ma part, avec untel, ça s’est toujours bien passé, j’ai même plusieurs retours + à lui faire… ? » », « Non, tu dois te tromper, je ne peux pas croire qu’on t’ait arnaqué », « je ne crois pas que Wengo compte parmi ses experts des escrocs, tu fais sûrement erreur ») Si aucun de ces procédés ne fonctionnait, elle passait alors à la phase supérieure qui consistait à taxer le « mécréant » de folie, de méchanceté gratuite, d’attitude fielleuse, et autres déplaisants qualificatifs. Comme je campais le rôle de la cliente vindicative, elle eut tôt fait de me traiter ainsi, et même de m’inviter à quitter le forum puisque  « je ne croyais pas en la voyance et que je n’avais par conséquent rien à faire là ». Ushuaia est une personne d’autant plus dangereuse qu’elle n’en a aucunement conscience. Le forum entier de Wengo, plateforme composite qui, je le rappelle, compte en son sein de bons voyants comme des escrocs notables (cf. mon dernier article), était défendu corps et âme par une cliente désespérée d’attendre la réalisation de ses prédictions, suivie bientôt par quantité de moutons de Panurge qui trainaient derrière elles les mêmes casseroles.

Ce minuscule réseau de discussion avait pris une tournure sectaire par son entremise : comme tout culte se fonde en effet sur la foi en l’infaillibilité du gourou, il était devenu là-bas nécessaire d’écarter manu militari tous les « incroyants » qui se présentaient, et qui étaient susceptibles de détourner les membres du « droit chemin ».

Consciente du danger qu’elle représentait pour la lucidité des consultants de Wengo, j’ai poussé Ushuaia à quitter le forum, en la provoquant sans relâche. Je pensai y être parvenue, mais, de guerre lasse, et parce que j’avais déjà investi beaucoup de mon temps pour étudier ce milieu, ce fut le contraire qui advint. Depuis, sur le forum, on lit Ushuaia parler en ces termes : « Merci infiniment pour ces retours positifs QUI FONT DU BIEN. Moi aussi j’ai eu plusieurs retours + avec plusieurs médiums de wengo, quelques fois dans les dates prévues, mais le plus souvent avec du retard et parfois plusieurs mois de retard. Aujourd’hui je suis un peu bloquée car plus rien n’avance mais j’ai confiance en beaucoup de médiums que j’ai consultés, et s’ils s’étaient trompés sur mon histoire je sais qu’ils auraient l’honnêteté de le reconnaître et qu’ils ne me laisseraient pas continuer d’espérer. » Que comprendre dans cet énoncé quand on apprend, quelques lignes plus bas, que 5% des prédictions délivrées à Ushuaia se sont réalisées, et que 95% sont toujours en attente (depuis des années) ? Que penser de ces nombreux présupposés qui posent d’emblée que les médiums de Wengo sont forcément des gens honnêtes et intègres ? Que déduire de ce récit, qui, comme tant d’autres, se veut neutre et impartial (selon Ushuaia elle-même) ? Et surtout… Comment ne pas prendre peur pour le client encore novice que de tels commentaires pourraient rendre trop confiant ? Et comment ne pas prendre en pitié quelqu’un comme Ushuaia ?

La voyance nourrit l’espoir, et l’espoir se défend comme on défend ses derniers remparts : avec la force du désespoir et la patience d’un Saint. Pierre par pierre, Ushuaia s’évertuait à sauvegarder sa forteresse inachevée, toute constituée de prédictions bancales. Sans relâche, opiniâtrement, elle ne laissait rien passer, rien filtrer. Ses propres voyances se contredisaient-elles entre elles qu’elle se réfugiait derrière des prétextes improbables : la voyance est une science incertaine et mouvante, les évènements changent à mesure que notre destin s’écrit !  prétendait-elle. Mais à quoi bon consulter  dans ce cas ? Les paradoxes affluaient, mais ne l’effrayaient pas. Qu’importe même, ce forum était devenu son champ de bataille. Chaque nouvelle journée était un combat à livrer pour défendre ses positions. Mais lutter pour préserver des chimères s’avère potentiellement dangereux, pour elle comme pour ceux qui espèrent à ses côtés. L’apprendra-t-elle à ses dépens ?

Que pourrais-je ajouter, sinon de mettre en garde d’éventuels consultants de cette plateforme de n’accorder à ces personnes que le crédit que leur parti-pris mérite ? Méfiez-vous, oui, méfiez-vous de la clientèle dévote. Inoffensive en apparence, elle vous tendra la main pour mieux vous précipiter dans la gueule du loup. Certains auront peut-être la chance d’être tourné vers des experts dignes de ce nom, mais combien une plateforme comme celle de Wengo en compte-t-elle dans ses rangs ?   Amélie  

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