Visions surnaturelles
Les visions font parties de nos perceptions du monde à l’aide de nos sens. Les oreilles perçoivent les sons, la langue les goûts, le nez les odeurs, le toucher les formes et les températures et les yeux apprécient les formes et les couleurs ainsi que les lumières et l’obscurité. Ce sont alors les visions qui peuvent être de différentes natures. Les visions naturelles sont celles qui sont perçues objectivement par un certain nombre de personnes. Ces visions peuvent être qualifiées de consensuelles, puisque leur réalité peut être confirmée par plusieurs personnes. Les visions pathologiques revêtent un caractère singulier qu’il faut savoir discerner par rapport au terrain où elles se produisent. Ce sont, en premier lieu, les hallucinations caractéristiques de certains psychotropes, effets recherchés par les toxicomanes. Ces perceptions peuvent être auditives, visuelles, cénesthésiques qui se localisent au niveau de la peau sous forme de fourmillement ou de présence de toile d’araignée. Dans les crises de délirium trémens, le patient signale des petits avions qui volent dans sa chambre, ou encore des bêtes noires menaçantes qui déclenchent sa violence, dangereuse pour son entourage. Ces visions seraient dues à des altérations chimiques de la myéline, constituant des neurones, et qui produisent ainsi dans l’encéphale des images parasites du système nerveux. Les visions oniriques qui se produisent pendant le sommeil et qui sont liées au déroulement de ce dernier. Il s’agit de productions de notre inconscient au moment où nos sens ne nous relient plus au monde extérieur. Nos fantasmes peuvent donc se donner libre cours et se livrer à des processus de défoulement que sont les rêves, et même les rêves prémonitoires, qui ressortent du domaine de la parapsychologie. Ces représentations sont le plus souvent liées à du déjà vu. Ce qui veut dire que nous pouvons parfois, nous échapper des contraintes sociales que peuvent nous imposer les sens, pour nous permettre d’évoluer dans les champs des interdits.
Il y a le cas des délirants, dont les perceptions sont faussées par l’existence d’une maladie organique telle qu’une méningite, une encéphalite ou une fièvre élevée dans le paludisme ou même une tumeur à localisation cérébrale spécifique. Notons les mirages perçus par les naufragés du désert, images qui disparaissent avec la soif. Malgré le caractère particulier et fugace de ces perceptions, elles ne peuvent être considérées comme surnaturelles. Même la vision du Christ, marchant sur l’eau, est bien un phénomène surnaturel, mais pas une vision, car elle était perçue par la foule des disciples.
Les visions surnaturelles apparaissent à des personnes saines de corps et d’esprit qui peuvent en faire fidèlement la narration qui peut être crédible et ultérieurement confirmées par les évènements annoncés par le sujet de la vision. En commençant par l’Annonce faite à Marie qui a complètement bouleversé l’histoire du monde en marquant considérablement la civilisation chrétienne. Avant cela, l’épisode du buisson ardent, qui ne se consumait pas, confirmait la mission sacrée confiée au prophète témoin par le Seigneur. Toujours est- il que les visions surnaturelles sont destinées à des personnes hors du commun, désignées pour porter la responsabilité des conséquences. Des voix ont intimé à Jeanne d’Arc, à Domrémy de voler au secours de la France en péril et d’amener le roi se faire sacrer à Reims. Les dix huit apparitions de la Vierge Marie à Bernadette Soubirous, à la grotte de Massabielle à Lourdes et dont on fête les cent cinquante ans cette année, nécessite une attention particulière pour illustrer le caractère de ces visions. Seule Bernadette pouvait voir et entendre la dame, éblouissante de blanc vêtue, qu’elle ne connaissait pas et qui lui donnait un message à transmettre aux fidèles. Et pourtant, elle était suivie par une foule qui ne voyait ni n’entendait rien. Pour confirmer la réalité des récits, il a été ordonné à un aveugle de se laver le visage avec l’eau de la source creusée par Bernadette sur l’ordre de la dame, l’aveugle a retrouvé miraculeusement la vue. Ensuite, l’apparition a révélé son nom à Bernadette, une analphabète, pour le communiquer à l’Abbé Peyrevalde, le curé des lieux, qui s’était étonné qu’une illettrée puisse connaître l’existence de l’immaculée Conception ; une autre preuve que les visions étaient surnaturelles. Les temps n’ont pas démenti les messages de ces apparitions et Lourdes est, à présent, l’un des hauts lieux de pèlerinages dans le monde.
Les visions surnaturelles nous interpellent sur le monde dans lequel nous vivons et qui ne serait pas limité à ce que nous pouvons en apercevoir seulement, ce que peuvent saisir nos sens. Il doit exister au-delà de nos facultés de percevoir un autre monde, qui s’inscrit comme irrationnel. Cet au-delà serait à la limite, la frontière entre le rationnel et l’irrationnel, qui nous fait dire, dans nos traditions africaines que: «les morts ne sont pas morts ». Ce monde de l’au-delà, qui est une réalité dans l’existence de l’Africain, fait partie de sa cosmogonie. Ce monde l’angoisse, par ce qu’il demeure inconnu, le rassure, par ce que le terme de sa vie n’est pas le néant, mais le motive pour se préparer à s’y retrouver avec les siens, les ancêtres qui l’y ont précédé ; d’où l’importante de la religion dans nos cultures.
Être relié à d’autres et ne pas vivre dans l’isolement, caractérise l’image du bonheur ici-bas. Ce n’est nullement l’individualisme et la jouissance à tout prix, comme objectif de l’existence, encouragé par le monde moderne de productions et de consommations, qui donne sa valeur à une vie réussie, par ce qu’on a réussit dans la vie. Une vie réussie est toujours une vie partagée en demeurant pourtant enrichissante. Comme l’a écrit le Dr A. Schweitzer: «L’amour est la seule chose qui se double lorsqu’on le donne »,
Il est bien probable que les visions surnaturelles ne manquent pas à notre époque de technologie avancée. Mais les visionnaires modernes seraient en mal de discerner l’impact des spots publicitaires outrancières et la pureté d’une vision dénuée du conditionnement mental dû aux médias et au cinéma, où les situations les plus extravagantes, qui dépassent l’imagination, sont mises en scène. Les visions surnaturelles constituent des clins d’œil de ce monde qui reste énigmatique, sauf lorsque la religion ou les traditions nous rassurent sur sa réalité comme la destination, le lieu ultime de la punition ou de la récompense pour notre âme immortelle, de ce que nous aurons fait de notre existence. Car à l’approche de la mort, les sentiments de l’homme seraient un résumé de tout son vécu, une prise de conscience inévitable de ce que l’on aura fait de son temps, que l’on aurait investi dans la tromperie et la vanité des choses, ou la réalité et l’enrichissement de la relation avec autrui dont le temps se conjugue avec le mien et qui; à la limite, est mon ESPERANCE.
Dr.Raymond JOHNSON Psychiatre. Psychanalyste