L'astrologue et le charlatan
Comme l’a montré l’historien François Furet en 1978, dès lors que la révolution française et l’avènement des droits de l’homme et du citoyen inaugurent la sécularisation de la conscience morale et la dissolution de la vie privée et sociale dans le domaine public (voir aujourd’hui la main mise de l’Etat à tous les niveaux de l’existence individuelle dès la naissance de l’enfant: santé et hôpitaux, éducation et écoles, patrimoine et banques…,), on peut se demander si l’État ne gagnerait pas aussi à gérer et contrôler l’astrologie qui a trait aux représentations mentales que la personne se fait d’elle-même et de son entourage, puisqu’elle renseigne d’abord –ou le devrait– sur le psychisme, sur l’équilibre des “pulsions” propres à chacun, sur l’énergie des désirs, et sur la perception intime Il faudrait pour cela que l’astrologie soit une discipline fiable, quelle soit en mesure de présenter des indications des résultats quantifiables et reproductibles, exploitables par les officiers de la pensée publique. Ce qui est loin d’être le cas, et fait de l’astrologie un savoir essentiellement insaisissable. D’où la relative liberté et autonomie des astrologues, qui vivent encore dans un no man’s land de la pensée exemptés des contrôles culturels qui touchent d’autres domaines. L’astrologie est une activité jouissive qui échappe au contrôle de l’Etat. La question que je ne cesse de me poser, quant est la suivante: Jusqu’où cette liberté est-elle souhaitable? L’astrologie est entrée aujourd’hui dans une phase féodale: partout de petits seigneurs locaux, des condottieres insoumis, rebelles à un quelconque dessein commun. Aucune autorité centrale. Mais l’astrologue - professionnel qui se retire, avec ses bibles et ses idoles, dans l’alcôve du cabinet de consultation, craignant qu’on lui ôte une partie de sa liberté, n’est-il pas en train de faire le jeu des charlatans?
D’où le paradoxe des associations de praticiens, des statuts et des codes de déontologie élaborés : Qui va définir les compétences d’un astrologue, et non celui-là ? D’après quel critère? - - Certainement pas en raison de l’application, invérifiable, de règles, hasardeuses, davantage motivées par les intérêts associatifs qu’établies pour éprouver les compétences réelles du prétendant. Avant de tester les candidats, ce sont les associa- fions et les écoles d’astrologie qu’il faudrait soumettre à l’examen!
L’astrologie est prise dans un étau, entre la désaffection des chercheurs et le mépris des intellectuels d’une part, et la rapacité des charlatans et des commerçants d’autre part, lesquels proclament, tout comme l’astrologue de cabinet, leur capacité à faire et à vendre de l’astrologie, à attirer et à satisfaire une clientèle. Qu’est-ce qui distingue le charlatan du praticien, s’ils tiennent le même discours, s’ils distribuent des chimères plus ou moins équivalentes, s’ils refusent les uns comme les autres d’apprendre et de se parfaire, s’ils adoptent une attitude strictement identique face à la recherche? L’argument d’autorité? Les coups de semonce des petites idoles de chapelles?
Ce n’est pas aux institutions de trancher le débat, puisqu’elles ne se soucient pas du destin de l’astrologie, et que l’astrologue ne souhaite pas en réalité qu’elles s’en occupent. L’astrologie d’association ne peut tout de même pas demander qu’on lui garantisse la sécurité de son cocon, alors qu’il se refuse à s’exposer au débat d’idées. Il rêve que l’Etat le garantisse contre les charlatans, comme au temps d’Alfonso X le Sage, alors qu’il n’est pas prêt à soutenir la recherche, et qu’il est même enclin le plus souvent à la nier, si ce n’est à l’obstruer, comme j’en ai fait l’expérience depuis plusieurs années. La mise à l’écart de l’astrologie du champ du savoir date du XVIIè siècle. Après la catastrophe des “Lumières” au XVIIIè siècle et des positivistes du XIXè, l’astrologie a même perdu le droit de figurer honorablement dans les traités historiques, et ce malgré son ubiquité et le statut rayonnant (la reine des sciences) qu’elle a pu revêtir dans le passé. Son statut ambigu fait qu’elle n’occupe qu’une place mineure et occasionnelle, souvent même inexistante, dans les différentes histoires, que ce soit l’histoire des sciences et de l’astronomie, l’histoire de la philosophie, ou l’histoire des religions. Alfonso avait pris des mesures judiciaires contre les usurpateurs et les incapables, mais octroyé des crédits pour l’édition, la traduction et la recherche. Il en va de même à toutes les périodes de progrès de l’astrologie. Car le prix à payer pour la liberté dont jouissent les astrologues est tout simplement l’absence de moyens pour la recherche. Le monde des astrologues reste un champ culturel marginalisé, à l’écart des dispositifs étatiques, contrairement à la psychanalyse qui a su s’adapter à l’idéologie moderne. Il n’y a qu’une solution: que les associations d’astrologues- professionnels appuient les efforts de la recherche – qu’elle soit d’ordre historique, psycho - statistique, scientifique, anthropologique ou philosophique - et que chaque praticien verse une taxe ou un tribut à la recherche
- comme c’est le cas pour la médecine. C’est la seule règle de “déontologie” qui vaille. Cette taxe ne signifie pas que la recherche validerait les pratiques exercées (consultations, cours, horoscopes des journaux, commerce Minitel et Internet…), mais qu’il y a un prix à payer pour avoir le droit d’utiliser ou d’usurper le titre d’astrologue.
Toute activité astrologique déclarée serait taxée, à raison de 5% pour les cours et les consultations, de 10 à 15% pour les horoscopes de journaux, services minitel et autres. Ces fonds seraient répartis en trois: 1- Pour une véritable bibliothèque de recherche (astro)
2-Pour l’édition (traductions d’ouvrages historiques, fac-similés, sauvegarde du patrimoine astro…) 3- Pour l’enseignement et les associations Des responsables qualifiés seraient mis en place pour la gestion de chacune de ces activités, qui devraient être en rapport avec l’université. Alors un débat international pourra être mis en place à condition que chaque astrologue digne de ce nom, dise: 1) quelle est l’expérience initiale qui l’incite à prendre l’astrologie au sérieux, 2) en quoi consiste sa pratique de l’astrologie, 3) quels sont les éléments et les techniques qu’il utilise, 4) quelles sont ses sources, et pourquoi il les a choisies, 5) quelle est la logique intrinsèque (s’il y en une!) de son modèle de l’astrologie, et enfin, 6) quelle est sa conception de l’histoire de l’astrologie et de l’évolution des modèles. Il n’est pas d’issue pour l’astrologie hors de ce débat.
Patrice GUINARD
Site web http:f/cura.free.fr *Cet article a été publié dans Destins n°20