Islam,magie et marabouts

Magie et religion ont en commun de reposer sur des croyances ou des êtres surnaturels. Mais tel que le souligne le sociologue Emile Durkheim « le magicien a une clientèle, non une église ».

Les alchimistes arabes ont reçu de l’Antiquité grecque (copte et syriaque) trois éléments distincts ayant contribué à favoriser leur approche mystique et physique des phénomènes naturels. Des recueils d’opérations, des recettes, des procédés en métallurgie et pharmacopée ainsi que les concepts de la physique aristotélicienne selon laquelle le monde est une hiérarchie de choses (matière et forme) qui vont du minéral à Dieu.

Des listes entières de formules consacrées à la définition des sciences profanes, religieuses, occultes sont relevées dans le fameux « Livre des définitions ». Les termes de jawar (essence, substance), sûra (forme, image), tabîa (nature) et rûh (l’esprit) constituent les éléments clés de ce langage. L’âme serait une « substance divine qui vivifie le corps ». Le monde est perçu comme un vaste ensemble de relations en perpétuelle mutation. Le patrimoine philosophique, ésotérique, hellénique, assimilé à l’islam a légitimé la dimension spirituelle de cette science. Le fonds commun islamique, l’héritage familial et le conditionnement social ont favorisé la transmission des croyances. Au fil du temps, le recours à des rites a induit une fonction psychosociale à l’égard du phénomène d’acculturation. D’où l’intérêt accru porté aux nombreuses croyances véhiculées par l’entourage.

Vu sous un angle purement rationaliste, le pouvoir des marabouts relève du charlatanisme, de la peur et de l’emprise exercée sur les esprits faibles. La magie fut la source commune de l’astrologie et de toutes les pratiques qui leur furent plus ou moins associées dans les sociétés de type traditionnel. A la notion de « fausse science » tend à se substituer, à présent, la conception d’un savoir traditionnel, essentiellement ésotérique et symbolique. La magie s’étend dans une sphère reconnue par l’islam c’est le monde des esprits ( djinns). Il est traditionnellement admis que ces djinns écoutent aux portes du ciel pour surprendre les secrets de Dieu. L’âme religieuse est une âme prophétique. Elle s’élève vers Dieu et els anges, se met à leur écoute alors que l’âme magique abaisse les esprits sidéraux dans le but de s’en faire obéir. Les talismans, par exemple, constituent de véritables pièges à esprits.

La magie qui se place en dehors de toute considération morale est considérée par l’islam comme étant satanique. Chez les musulmans, il y a donc une distinction entre les magiciens incapables de produire le bien et les prophètes. Les prophètes et les anges ne savent que ce qu’Allah leur a enseigné ». Pour le musulman, un devin qui pratique la prédiction se base sur les étoiles et ceux qui lui apportent des nouvelles sont les djinns. Il en va de même pour ceux qui travaillent à partir du sable, de cailloux, de grains. Afin de se protéger du mal des djinns et de la magie, l’islam préconise la lecture et la récitation de sourates de protection matin et soir. Chez les musulmans, le peuple nourrissait une croyance particulière selon laquelle chaque être serait accompagné par un génie, un ange tantôt bienfaisant, tantôt menaçant. Les Contes des mille et une nuits représentent le recueil de récits le plus riche du patrimoine oriental. Ces contes populaires très anciens et dont la rédaction définitive date du XV e siècle mêlent de fantastiques génies sortis d’une vieille lampe à huile, tapis volants, villes merveilleuses, trésor. La 764e nuit, en l’occurrence, celle durant laquelle Shéherazade raconte l’histoire d’Aladin confronté aux magiciens et au génie, illustre de façon remarquable cette croyance. Au demeurant, il est à noter que culture et éducation ont perpétré des croyances dont le fondement repose davantage sur des superstitions que sur une connaissance rationnelle des phénomènes. La tradition orale, outil privilégié de la transmission du savoir au sein des civilisations orientales a élevé les récits légendaires au rang de discours référentiels, empreints de vérité irréfutable. Porteurs de messages, ils évoquent parfois les circonstances d’une scène d’envoûtement, d’ensorcellement. Un mariage non consommé, la stérilité d’un individu, une possession diabolique, le mauvais œil, tant d’énigmes à travers lesquelles des personnes se reconnaissent. D’où le recours à des tentatives d’assainissement d’une situation que l’on refuse d’accepter avec l’aide d’un marabout. Du linceul d’un mort qui servira à immobiliser tous ceux auquel il sera présenté, du sang menstruel, des cheveux, des talismans, chaque objet confectionné se transformera en une arme puissante capable de délivrer du mal, de rendre le bonheur. C’est ainsi qu’une jeune fille âgée de seize ans se trouva, le jour de ses noces, forcée d’avaler des œufs durs sur lesquels un marabout avait pris soin d’ajouter des écritures dans le but de lui faire accepter son futur époux qu’elle s’obstinait à rejeter. Les parents obtinrent pour tout résultat de payer largement le marabout et une séparation du couple peu de temps après le mariage. Malgré des tentatives vouées à l’échec, les croyances en de telles manipulations subsistent. Bien que certains jeunes aient une aversion profonde pour les manifestations du sacré, les superstitions, on remarque qu’ils sont nombreux à suivre les traces de leurs ancêtres en adoptant leurs croyances. Du sang menstruel additionné à un aliment permettra de conquérir à jamais l’amour de l’élu de son cœur, une fois que ce dernier l’aura évidemment consommé. Des recettes pour arriver à ses fins

Dans l’univers de la magie, tout semble réalisable. Les textes des grimoires sont pris au pied de la lettre ; les recettes sont assidûment appliquées. Il n’en demeure pas moins que de véritables charlatans usent de maintes ruses pour exercer une emprise sur leur client. Car il s’agit là véritablement d’une transaction commerciale. Certains maghrébins vivant en France se rendent jusqu’à leur pays d’origine pour conclure un marché avec la sorcière capable de les convaincre d’un miracle. Des sommes colossales leur sont réclamées et soutirées. Avides de recettes miracles, nombre de personnes tentent par tous les moyens d’obtenir celle qui leur permettra d’arriver à leurs fins. Si l’on souhaite qu’il ne pleuve pas à un certain endroit, (ou plus précisément, si l’on souhaite protéger un emplacement des fortes pluies), il suffit de laisser un chat gratter la terre avec ses pattes, à l’endroit désigné, au lever du soleil. Si, dans un tout autre registre, on souhaite qu’une personne soit atteinte de folie, il suffit de lui faire manger de la cervelle de* …. Oui, en effet, c’est le genre de produit facile à se procurer ! D’autres recettes encore, pour le moins étonnantes : déterrer un mort de moins de trois jours, lui couper la main, et à l’aide de celle-ci cuisiner un plat de *…, celui qui en mangera sera incapable d’aimer une autre personne que celle qui aura réalisé le plat ! Mais attention, comme le précise les croyants, tout ce qui se rapproche de la magie est une forme d’adoration aux djinns.

Du marabout au charlatan :

D’un enseignement délivré à un nombre restreint de croyants, l’ésotérisme s’est largement étendu du fait de sa conception symbolique et imagée. Les nombreux marabouts que l’on peut rencontrer, ne sont pas forcément ce qu’ils prétendent. D’une identité fabriquée de toute pièce, sous prétexte de lire et écrire la langue arabe, ils interprètent le coran à leur guise. Ils pratiquent le désenvoûtement systématique car cela rapporte davantage d’argent. Leurs actions s’inscrivent dans une logique échappant totalement à l’entendement humain. Mais il est vrai qu’une personne fragile, en situation d’échec sentimental ou professionnel constituera une proie idéale pour les charlatans. N’ayant pas forcément pignon sur rue, ces marabouts sont connus de la communauté musulmane, qui convaincue de leurs pouvoirs, n’hésite pas à les consulter. Le bouche à oreille fonctionne bien dans ce domaine. S’identifiant à des talebs (sages, lettrés) les marabouts répondent aux interrogations des âmes inquiètes ou rebelles. Privilégiant le surnaturel à la raison, les orientaux sont attirés par des forces mystérieuses les entraînant parfois jusqu’à leur propre d échéance. En quête de l’inaccessible absolu, face à des interrogations de plus en plus pesantes, les adeptes de sorcellerie identifient le marabout au libérateur des âmes troublées. La décadence morale et religieuse des marabouts répond à des besoins impérieux résultant d’une oppression despotique exercée sur les individus. Les sahars (sorciers) à l’aide de calculs que leur auraient inculqué des sages de l’Orient, s’engagent à remédier à l’infortune de leur client quel qu’en soit le degré de gravité. Sans scrupule. ils blessent, guérissent, endorment, réveillent mais n’omettent jamais de réclamer leur dû. De science ancestrale, la magie a dévié vers des pratiques insidieuses et tellement insondables qu’elles suscitent plus que la curiosité, une croyance dogmatique.

À la recherche de protections, de bonheur ou pour conjurer le mauvais sort. Toutes les raisons sont bonnes pour aller consulter celui qui saura vous délivrer. Dans les rues de Barbès, dans le 18e arrondissement de Paris, vous serez accostés des dizaines de fois par des pseudo-médiums qui n’hésiteront pas à vous brandir sous les yeux des cheveux, des os et autres ustensiles de sorciers afin de vous persuader de les suivît dans une arrière-cour d’immeuble insalubre. Là. Ils vous démontreront que vous êtes envoûté, que l’on vous veut du mal. Seul moyen d’en finir avec le mauvais sort, écouter scrupuleusement les consignes du marabout : acheter une poule, du savon, bref des objets ou mets qui lui seront utiles et lui donner une somme d’argent assez conséquente. Faute de quoi, vous ne vous en sortirez pas. Dans un autre registre, vous aurez une liste de voyants via les radios et autres supports de presse. Certains sont peut- être fiables mais beaucoup savent que dans la culture musulmane, on accorde une large place à la magie, au mauvais œil. Par conséquent, les propositions de travaux occultes, non justifiées, pourront fuser. A aucun moment, ils ne se soucient de leurs clients, seul le rendement et l’argent extorqué comptent. Une grande vigilance s’impose avant de consulter, il faut se renseigner et s’assurer du sérieux et du professionnalisme du médium.

Yamina Gueham

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