DES SORCIERS DANS LE BOCAGE
Qu’il soit normand, vendéen, berrichon, le “bocage” (champs et près) s’entoure encore de l’aura sulfureuse des sabbats de sorciers et sorcières des siècles passés. Il s’ensuit que la Sorcellerie reste imprégnée dans l’esprit du public, d’une série d’images d’Epinal qui ne correspond pas toujours à la réalité. En tout premier lieu, il y a confusion inévitable entre Magie et Sorcellerie, dont les termes sont mal différenciés, dès lors qu’on les croit interchangeables de par l’ignorance de leur spécificité. Etymologiquement, la Magie c’est “L’Art des Mages”. C’est-à-dire de ces Prêtres - Perses, ces Sages Chaldéens, ces Prophètes Hébreux (Moise), ces Kabbalistes, ces Saints Marabouts, quelle que soit leur affiliation religieuse, car Magie et Religion ne sont jamais séparées comme le souligne l’ésotérisme de leurs textes sacrés. En quoi consiste cet “Art” ? C’est un ensemble d’opérations par lesquelles le Mage, cherche à contraindre les Forces Naturelles (Puissances Invisibles de divers ordres) à agir (faire) selon ce qu’il requiert d’elles. Le Mage est un “Initié” dévolu aux grands Mystères Divins, un Maître. Le Sorcier de la magie campagnarde ou bocagère, est un “apprenti” qui déchaîne des forces qu’il ne connaît qu’empiriquement, et dont ensuite il n’est pas maître. Chez l’un il y a “Connaissance”, chez l’autre, utilisation perverse des “forces occultes” à des fins personnelles ou pour autrui dans le rejet volontaire de tout ordre moral. Le grand démonologue du XVIème siècle, Jean Bodin, définit le sorcier comme : “étant celui qui par moyen diabolique s’efforce sciemment de ‘‘parvenir à quelque chose”. Amour, haine, argent, vengeance, mort ? Tout cela peut-être suivant la demande ?
D’OU VIENT LA SORCELLERIE ? L’intérêt actuel pour la sorcellerie tant en Europe qu’en Amérique, tient en grande partie à la vogue de l’ésotérisme et de l’occultisme, vogue qui embrasse pêle-mêle : l’astrologie, le spiritualisme, la voyance, la médiumnité, le spiritisme et certaines techniques exotiques : le Zen, le Yoga, le Tantrisme, le Chamanisme etc… Mais le phénomène de la sorcellerie est si complexe qu’il paraît difficile de l’expliquer par un facteur unique. Pour le comprendre dans son étendue universelle, il faudrait faire appel à des disciplines incluant : le folklore, 1’ethnologie, la sociologie, la psychologie et surtout l’histoire des Religions. Ainsi, organisation cultuelle pas spécialement dressée contre le christianisme, la Sorcellerie était en réalité le vieux paganisme répandu dans toute l’Europe, car il constituait une “religion” la WICCA. On y adorait un dieu cornu, assimilable au dieu Celte Cernunos, que les Inquisiteurs bien plus tard confondront délibérément avec le Satan de l’Evangile. Loin d’êtres maléfiques, les pratiques et rituels de la WICCA utilisaient un “savoir” ancestral incluant le pouvoir des plantes médicinales et magiques, l’influence des pierres précieuses,1’efficacité des rebouteux, des guérisseurs, des magnétiseurs, et ces “remèdes de bonne femme” qui ont traversés les siècles’’ la voyance, les prédictions, la médiumnité avec l’au-delà, enfin presque une parapsychologie avant la lettre, tout cela participait de la WICCA. En conséquence, c’est en diabolisant ce contexte naturiste, que le christianisme petit à petit va éradiquer le vieux paganisme qui de ce fait rentrera tout naturellement dans la clandestinité. L’Eglise poursuivra de sa haine axée sur l’hérésie une religion concurrente, en assimilant progressivement le culte archaïque de la WICCA à la Magie Noire, toute entière vouée à l’adoration de Satan, et de ses oeuvres maléfiques. Férocement réprimée, la sorcellerie va alors entraîner dans son sillage, des procès, des bûchers, des morts en art- grand nombre, des massacres sans fin. Epidémie meurtrière ravageant l’Europe dans toutes ses parties et le Nouveau Continent où se déroulera le célèbre procès des sorcières de Salem.
QUI SONT LES SORCIERS ET LES SORCIERES ? En premier lieu des “croyants” dont on pourchasse le culte, comme plus tard on verra les guerres de religion entre Cathares et catholiques, entre protestants et catholiques, génératrices de massacres dont l’histoire a répercuté l’horreur. En second lieu, les sorciers et sorcières sont des “révoltés” contre le Pouvoir. Surtout les femmes, car depuis EVE, la méfiance règne contre l’espèce féminine tant sur le plan social que sexuel. La veuve en particulier, dépourvue de contrôle marital est en première ligne de suspicion. Vieille, méchante c’est un parasite de la société. L’imagerie du Moyen Age en fera cette créature échevelée et farouche, chevauchant un balai pour aller au Sabbat, le rendez-vous diabolique ou concoctant dans son antre, les poisons, les philtres magiques qui provoquent l’amour, la haine, la mort… Pour réprimer la sorcellerie, qu’elle amalgame à 1’hérésie, 1’église va instituer “Le Jugement de Dieu”, “l’ordalie”, épreuve judiciaire relevant des puissances surnaturelles, afin de vérifier ou infirmer, une présomption de comportement diabolique. La sorcière, présumée coupable, était soumise aux épreuves du feu du poison, du fer rouge, de la noyade, et devait sortir indemne de ces tourments pour prouver son innocence. ‘‘L’ordalie’’, ce : décret particulièrement barbare, n’offrait aucune chance à l’accusée, et nombreuses furent celles qui y succombèrent.
Du XIIIème au XVI.eme siècle, la sorcellerie partie du bas peuple, va gagner tous les étages de la société. De hauts personnages, tels : Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI, Gilles de Rais, maréchal de France et compagnon de Jeanne d’Arc, cette dernière brûlée comme sorcière, les Templiers, dont le grand Maître Jacques de Molay périt sur le bûcher. Sous Louis XIV, avec l’Affaire des Poisons, la sorcellerie éclaboussera presque les marches du trône. La principale accusée, la sorcière La Voisin, partira en fumée, tandis que ses complices les grandes dames de la noblesse, coupables mais non responsables, échapperont au jugement. Le Ministre Colbert mettra un point final à la poursuite des sorciers par l’Edit de 1682. Toujours persifleur. Voltaire aura beau jeu de nier la sorcellerie “puisque toutes les sorcières avaient- été brûlées !”. Cette boutade métaphysique d’un philosophe de ce I8ème siècle imprégné d’anticléricalisme, tournait en dérision la théologie médiévale axée sur l’hérésie, sans pour autant expliciter la condition humaine assujettie au Bien et au Mal.
LE BIEN ET LE MAL L’être humain est continuellement entraîné par deux courants contraires. Il résulte de ce principe de dualité que le Bien et le Mal vont apparaître mobiles, interchangeables, équivoques. Une créature est bonne ou mauvaise, non par sa nature, mais par l’orientation qu’elle prend ou qu’elle subit. Le grand poète Goethe a reconnu ce fait de la double conscience, ces deux pôles entre lesquels évoluent le flux et le reflux de la conscience normale de chaque être humain. C’est de cette oscillation constante engendrant alternativement le Bien et le Mal que surgissent le Prêtre-Mage et le sorcier, images terrestres de Dieu et du Diable, que chaque Religion a essayé d’imposer. Mais comment et pourquoi malgré des siècles de christianisme occidental la sorcellerie a pu.non seulement persister, mais encore rester aussi vivante et agissante dans les villes et les campagnes, comme en témoignent les publicités feutrées ou tapageuses des magazines spécialisés.C’est probablement que la Sorcellerie a constitué un moment de l’Histoire de l’humanité, puisqu’on la retrouve partout sous des formes diverses. Des aborigènes d’Australie aux sociétés polynésiennes, de l’Amérique anglo-saxonne à l’Afrique, de l’Europe entière jusqu’à notre bocage de la France cartésienne. Paradoxalement, c’est une scientifique ethnologue. Jeanne Favret Saada, qui atteste la vitalité et l’authenticité de la Sorcellerie… Pendant, trois, ans, elle a vécu parmi les “désorcelleurs”. les “ensorceleurs”, les “envoûteurs” et autres”jeteurs de sorts’* d’un village de Normandie. Dans son livre :”LES MOTS, LA MORT, LES SORTS”, best-seller des sciences sociales, elle décrit les rituels de “dégagement” appliqués à une famille victime de nuisances occultes : maladies du bétail, champs stériles, disputes et violences en milieu familial et dans le voisinage, divorce, suicide.Après le passage du “sorcier désenvoûteur”, le faisceau de haine qui enveloppait cette famille s’est évanouie comme par “enchantement”, c’est bien le cas de le dire ! Le”charme”était rompu… Bien évidemment, Jeanne Favret-Saada, a scrupuleusement rendu compte des faits, mais n’en a pas trouvé l’explication ni la compréhension. Ici, la Science n’avait pas grand chose à dire, sinon à déployer largement.1’étiquette- “superstition” dont elle affuble ces “affaires-là” ! Aujourd’hui, dans notre modernité technologique, les sorciers et sorcières, ceux qui se prévalent de ce titre dans des publicités avantageuses, ne sont que de pâles héritiers de la WICCA. Ils sont “tireurs de sorts” campagnards dans le bocage appuyés par une clientèle rurale qui les craint, mais les consulte. En ville c’est une sorcellerie élégante, frottée de science parapsychologique qui leur permet d’élaborer (disent-ils) des moyens magiques pour changer les destins malheureux, conjurer la mauvaise fortune, réparer les désordres amoureux, la réussite assurée.pour un examen, une candidature, un siège politique (!) »… La bourse de la ‘’sorcellerie’’ de pacotille est florissante. Y pullulent les Mage, les Maîtres, les Hauts Initiés, portés par des publicités tapageuses qui les créditent de tous les miracles ! Les malheureux défavorisés y croient. Ils sont prêts à tout pour sortir du cercle de fer de la fatalité, retrouver la chance et l’espoir, s’évader de la solitude de l’âme et du corps… C’est ainsi que le métier de “sorcier” spécule sur la crédulité humaine, il a encore de beaux, jours devant lui. Pourtant, La Magie, qui est fondamentalement la Science des Mages, de ces Hauts Initiés qui ont étudié en de longues recherches la Connaissance des lois de l’univers, cette Magie appelée “Théurgie’’ existe. Sa devise “SAVOIR, VOULOIR, FAIRE SE TAIRE” exprime bien l’occultation d’un secret à ne pas mettre dans toutes les mains, Le détournement délibéré pour un usage personnel et lucratif de cette science, constitue la sorcellerie ou “goétie”. Ses victimes sont nombreuses, car l’esprit de lucre qui l’anime n’a pas de limite. La cupidité humaine qui s’infiltre partout a trouvé là un créneau particulièrement juteux.
Louise Falba