LA SUPERSTITION

Qui est superstitieux ? Tout le monde et personne, serait-on tenté de répondre. Les uns s’en défendent comme d’une maladie honteuse, les autres le clament bien haut sans souci aucun de respect humain. Nous nous arrêterons pas plus sur l’opinion de Freud, qui taxait la superstition de “symptôme pathologique” (genre névrose), que sur celle de ce cher Voltaire, grand sceptique devant l’Eternel qui disait volontiers : “La superstition est à la religion, ce que l’astrologie est à l’Astronomie : la fille très folle d’une mère très sage” Opinion très discutable ! Alors, comment se définit la Superstition ? A la base, c’est une fonction qui a pour but de réduire l’angoisse découlant de l’Incertitude de la vie, en essayant de mettre sous son contrôle, des événements que les connaissances techniques et scientifiques ne suffisent pas à dominer… Il est vrai que de tous temps, l’imagination humaine s’est plu à attacher une signification, bonne ou mauvaise, à tous les événements fortuits. Insolites, étranges, qui interfèrent dans le quotidien : miroir brisé, sel répandu, couteaux en croix, chiffre pervers, couleurs néfastes, etc. etc.. Clin d’œil de l’Invisible dont la liste se prolonge à l’infini, suivant les pays, les mœurs, les traditions. C’est en ce cas que la Superstition devient presque l’histoire sous-jacente de la civilisation humaine. Car étant partie -Intégrante de la psyché, elle a imprégné et continue d’imprégner l’humanité. Nul ne peut se vanter d’échapper à son emprise : rois, princes, philosophes, bourgeois, paysans, homme de Néanderthal ou du XXIe siècle, tous ont payé tribut à ce mode de “pensée sauvage” comme le qualifiait Lévi-Strauss” Cependant l’enchevêtrement des manies, des pratiques, des crédulités, soient héritées ou familiales ou encore acquises par contagion, adoption, additions étrangères, cet enchevêtrement est si touffu qu’il est pratiquement impossible d’en démêler les fils conducteurs. TeIle la Parque antique, la superstition tisse sa toile d’araignée dans laquelle les mouches humaines s’engluent Ere après Ere, siècle après siècle, sans grand espoir de dégagement. Existe-t-il un profil type de ‘personnes superstitieuses ?
Les femmes plus que les Hommes ? Les imbéciles plus que les Intellectuels ? Les religieux plus que les athées ? Pas de discrimination, tout le monde est logé à la même enseigne !

Cependant, lorsqu’on entend parler de crédulités populaires, bizarres ou incongrues, frisant même le ridicule, on est fondé à penser que l’on se trouve en présence d’absurdités, si contraires a la “raison” que cela ne mérite pas d’arrêter l’esprit de gens cultivés, rationnels, ce qu’il est convenu d’appeler le “bon sens rien n’est moins sûr que cette convention supposée. Ainsi, Napoléon, difficile à classer dans la catégorie “imbécile-crédule”, ne craignait pas d’affirmer :”Je n’aime pas les esprits forts, il n’y a que les sots qui défient l’inconnu”. En bon Corse, l’empereur savait de quoi il parlait. L’Ile de Beauté regorge de pratiques superstitieuses de tout acabit. Encore de nos jours, certaines ménagères armées d’un manche à balai, elles parcourent leur maison de haut en bas, tapant sur les meubles, le plancher, les murs dans une sorte de nettoyage psychique ! En parallèle avec les simples ménagères, des politiciens d’envergure, des écrivains célèbres, des intellectuels de renom, ont sacrifié à la superstition, sans souci du “qu’en dira-t-on”. Génie politique et Grand Chambellan de Napoléon, le Prince de Talleyrand n’engageait jamais un collaborateur* ou même un simple valet, sans lui demander bien avant son C.V, s’il avait de la chance. Si la réponse était négative, le candidat était impitoyablement refoulé. Un vaste esprit comme Honoré de Balzac avouait sans complexe :”Un homme n’est pas tout à fait misérable quand il est superstitieux, une superstition, vaut une espérance”. Voilà donc des cautions de poids qui ne manqueront pas de réconforter tous les porteurs de pattes de lapin, de trèfles à quatre feuilles, les toucheurs de bois (rond de préférence) les dévots de St Christophe, protecteur attitré des accros du 200 à l’heure. Curieusement, l’Eglise vient de chasser St Christophe de la litanie des saints du calendrier, sans explication. Le saint n’en continue pas moins de se balancer dans l’habitacle des différentes marques de voitures, des plus humbles aux plus prestigieuse Cependant, le champ de la superstition est si entendu qu’il ne peut être question dans un simple article d’en parcourir la superficie dans son intégralité, une encyclopédie n’y suffirait pas ! Malgré tout dans ce foisonnement de manies, de pratiques, il convient de distinguer les superstitions collectives à caractère social, transmises par traditions dont l’origine se perd dans la nuit des temps des superstitions personnelles (jouer sa date de naissance au loto* croire à son jour de chance, porter en secret un objet fétiche.). Pour l’exemple, rentre certainement dans la 1ère catégorie cette curieuse coutume qui se perpétue encore à Rome : la veille du Nouvel An, on jette par la fenêtre (gare aux passants) les objets usagés : verres ébréchés, couteaux émoussés, vaisselle fendue, vêtements démodés, chaises bancales… en somme toutes les vieilleries encombrantes, ceci afin de renouveler par du neuf porteur d’espérance, l’aura de la maison.

AVIS de MALCHANCE Les avis de malchance à contrecarrer sont innombrables pour tout le monde dans la vie de tous les jours : ne pas passer sous une échelle, renverser du sel, briser un miroir (7 ans de déveine), déposer un chapeau sur un lit, ouvrir un parapluie dans la maison, disposer des couteaux -en-croix, allumer trois cigarettes avec la même allumette’ signe de mort certaine Cet interdit serait de source religieuse, par référence à la Sainte Trinité. Prononcer le mot “corde” est tabou sur une scène de théâtre. Il en est de même pour le “lapin” dans la marine, cet animal ne figure jamais au menu des navires. La couleur verte et les oeillets sont honnis de tous les acteurs. Voir un chat noir traverser sa route annonce le malheur. Se marier le mois de mai (Mois de la Vierge) fera échouer l’union. Pour éloigner “l’épizootie” fléau des étables, le pays de Galles accroche un bouquet de gui aux cornes de la vache qui vient de vêler après Noël. Voilà un “remède” à signaler très vite à nos édiles empêtrés dans l’actuelle fièvre aphteuse… On peut dire, sans tomber dans le jeu de mot facile, que la Superstition se nourrit de tout. Ainsi, le pain, aliment mythique du SUD, port de vie depuis l’Antiquité, focalise encore bien des croyances. Celles qui perdurent de nos jours, parmi tant d’autre c’est celle du pain retourné, mis à l’envers sur la table, censée porter malheur, car c’est dans cette position insolite qu’on le présentait au bourreau avant chaque exécution ! Quant au levain, âme du pain^, il faisait l’objet de soins particuliers. On le conservait dans un récipient de préférence façonné dans un chêne dont le tronc ne comportait aucun départ de branche. Du reste toute la fabrication du pain, la réduction du levain, le pétrissage de la pâte, sa cuisson excluait totalement la présence d’une femme atteinte “de ses jours d’impureté”, censée gâter toute l’opération. La succulente mayonnaise comporte le même tabou. Principe de vie, le sang doué de vertus mystiques s’accompagne de “tabou” si nombreux que notre propos ne peut les énumérer.

LE NOMBRE DE JUDAS Mais le champion toute catégorie de ces déviances qui émaillent le quotidien de tout un chacun, surtout ceux qui y adhèrent, c’est le fameux “I3”. Il participe hautement à la fameuse symbolique des nombres découverte par Pythagore qui en avait fait une doctrine L’Arithmomancie ou divination par les nombres. Parmi les 3, 7, 9 12, 22, étudiés dans leurs analogies particulières par les Kabbalistes, le 13 occupe un statut particulier. Pour beaucoup de personnes, il reste la peste métaphysique incontournable… une vraie calamité, semant l’épouvante et cela d’autant plus par l’humour féroce du hasard, il se trouve quelquefois accouplé au vendredi, jour considéré comme néfaste. . A contrario, pour quelques courageux, des esprits forts prêts à braver l’enfer, le “13” est un tel symbole de chance, qu’ils le cajolent, le recherchent et s’amusent à le défier dans toutes les circonstances où il se présente. L’ostracisme du “13” vient de loin. Déjà dans l’Antiquité on le considérait comme particulièrement maléfique. Le père d’Alexandre le Grand, Philippe de Macédoine, roi mégalomane, mourut assassiné lors d’une procession pour avoir ajouté sa propre statue au cortège des douze Dieux de l’Olympe. Vengeance divine ! Les Romains, bardés de superstitions, avaient promulgué une loi, ordonnant au plus haut Magistrat de l’Etat, d’enfoncer chaque année un clou, l’ I3ème jour du mois de septembre, dans le mur du temple de Jupiter, ceci afin d’arrêter les ravages de la peste, maladie endémique et terreur des anciens. Mais la carrière du “13” connut son plus bel essor dans l’ère Chrétienne. Le fameux “13” à table, cauchemar des maîtresses de maison qui le redoutent particulièrement, vient en droite ligne du repas de la Cène, le repas symbolique du Christ célébrant la Pâque juive avec ses disciples. Les douze apôtres entouraient Jésus, quand Judas Iscariote, le trésorier du groupe vint s’asseoir au banquet, treizième convive méditant déjà sa trahison. La malédiction du nombre pervers ne se fit pas attendre, le Christ fut crucifié et Judas se pendit… C’est dans cette circonstance historique et religieuse que le:Vendredi et le “13”, tel un duo fatal, vont imprégner longtemps l’Inconscient Collectif de l’Occident Chrétien. La nocivité de ce duo fera encore de célèbres victimes. C’est un Vendredi 13 Octobre 1307 que le puissant Ordre du Temple fut exterminé. .’ Pourtant, -“il “y aura “ toujours des esprits forts, des indifférents des athées, qui braveront allègrement la virulence possible de ce duo fatal. Ce jour-là ils s’empresseront de courir après la Déesse Fortune : loterie, tiercé, loto, casino verront s’accroître leur clientèle en ce jour particulier. Les craintifs peu soucieux de braver le sort, se tiendront coits… on ne sait jamais : “la guigne», “Ia cerise”, là “scoumoune” pourraient bien être au rendez-vous !

VOUE AUX GEMONIES ! Presque partout dans le monde, le 13 est voué aux Gémonies. Au Japon, la Fête des Lanternes, était consacrée aux âmes des morts censées revenir le “treizième jour du septième mois. Les illuminations avaient pour but de chasser les fantômes indésirables qui auraient pu importuner les vivants. Dans le Pendjab, petit état de l’Inde, on croyait que la femme qui décédait 13 jours après l’accouchement, reviendrait sûrement sous la forme d’un esprit malin, afin de tourmenter la maisonnée et surtout le mari. Pour éviter ce retour intempestif, on enfonçait des clous dans les yeux et la tête de la défunte, afin “d’égarer” magiquement son esprit. Devenue aveugle (!1) celle-ci ne pouvait reconnaître le chemin de son foyer. Croyance têtue, se retrouver “13” à table a de quoi ôter l’appétit, car cela cela signifie que l’un des convives mourra dans l’année. C’est dans cette sombre perspective que Victor Hugo, qui avait le “13” en horreur, exigea que son Cocher fasse le quatorzième dans un dîner où un invité s’était malencontreusement décommandé. Même cas de figure pour Alexandre Dumas, qui s ‘étant aperçu que dans une circonstance semblable il était lui-même le I3ème, refusa net l’invitation. On peut être un grand roi, et néanmoins crédule, Frédéric de Prusse palissait de terreur à l’énoncé du chiffre fatal. Son Chambellan, le Marquis d’Argens, pourtant grand cynique, tremblait lui aussi devant ce “13” redouté. •Quelques dissidents du “13” tel Henri IV, bon vivant et joyeux luron, raffolait du “13” et le concevait comme un porte-bonheur.Son fils également Louis treizième du nom, vénérait son propre chiffre, ce qui ne l’empêcha pas de mourir relativement jeune.

Au I8 ème siècle, le vieil usage du “treizin” avait encore cours. Dans cette circonstance, les fiançailles, le prétendant riche ou pauvre était tenu de donner 13 deniers à sa promise ou au célébrant du mariage. Se pliant à l’usage, le roi Louis XVI, offrit à Marie-Antoinette sa future épouse, 13 pièces d’or en gage de bonheur… Funeste présent qui décapita à la lettre leur existence à tous deux. Pour en finir avec ce 13 dévastateur, notons qu’en Allemagne certaines villes ont rayé ce nombre de leurs rues et maisons. Egalement Aux U.S.A. quelques gratte-ciels passent directement du 12 au 14. Même terreur superstitieuse dans les hôtels. Pas de chambre 13. Idem pour les théâtres, pas de fauteuil 13, pas plus que de ticket de vestiaire…

Au bout du compte, QUI est superstitieux ? Tout le monde et personne probablement. Chacun a sa superstition particulière à laquelle il croit dur comme fer. Untel se méfie des chats noirs quand d’au très les adorent. On se détourne des échelles, on porte des oeufs à Ste claire pour qu’il fasse beau le jour de son mariage.On pique des cierges pour trouver du travail, on tremble au cri de la chouette, du corbeau, etc Tout cela aide à vivre, croit-on. Tout est affaire de circonstances, de vieilles terreurs enfantines, de légendes de nourrice de traditions familiales… En temps de guerre, les superstitions se renforcent. Les soldats portent médaille protectrice, une écaille de tortue, une patte de lapin, fétiches salvateurs dont ils rougiraient dans la vie civile. Le danger et l’incertitude renforcent la part de l’irrationnel que chacun porte en soi. Les marins, gens ô combien superstitieux sont confrontés à un environnement si imprévisible (tempêtes, coups de vent, naufrage) que les rituels de sauvegarde les plus saugrenus, sont pour eux comme une seconde nature. En conclusion, nous ne saurions définir totalement la superstition. En cela l’aide du dictionnaire ne sera pas d’une grande clarté. Pour le Petit Robert :”attitude religieuse considérée comme vaine”. Le Larousse est encore plus strict :”déviation’’ du sens religieux”. Ni l’un ni l’autre ne sont dans l’exacte appréciation. La Superstition n’est ni religieuse ni anti-religieuse c’est un mode “d’être” personnel, face aux événements et à la conduite de la vie, une intimité précieuse envers soi-même, et comme le dit Balzac : “une superstition vaut une espérance”.

Louise Falba

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