Voyance : le marché des vampires

Le pétrole voit son prix augmenter, remplissant au passage les caisses des Etats, les franchises fleurissent comme des marguerites au printemps et le porte-monnaie des Français fond comme banquise au soleil.

Que faire? Se demande la ménagère de tous âges. Que faire pour la retraite minable de mes parents? Que faire contre le chômage qui ronge mon mari? Que faire contre ces stages qui ne nourrissent pas mes gosses? Pas grand-chose. Quoique, voyons… Et bien oui, justement, voyez!

Il n’est pas question ici de suivre les préceptes de ces richissimes prédicateurs qui voient Dieu partout et surtout dans leur portefeuille d’actions. Moi, je vous parle de voyance ma bonne dame. Et encore, pas de la vraie voyance, celle qui vous vient par hasard, un jour de grand dévouement. Je vous parle de la voyance spectacle, celle qui rapporte. Celle des petits malins qui n’ont pas plus de dons qu’un cul de jatte n’a d’orteils.

Pour pratiquer ce genre de voyance, il faut savoir, bien plus qu’un politicien, écouter la détresse humaine, comprendre les attentes, pour enfin promettre à chacun ce que chacun souhaite entendre. Il y a bien longtemps que des petits malins ont compris que l’on pouvait s’appuyer sur la misère pour faire fortune. Au début des années 90, les dirigeants de la société Divinitel ont engrangé de larges profits avant d’être enfin jugés et condamnés. Le grand coup de balai médiatique qui a suivi n’a nettoyé que le PAF, écartant pour quelques temps Patrick Sabatier et son mage, Danielle Gilbert et sa bague.

Aujourd’hui, c’est par centaines que se comptent les escrocs à la voyance. Et les patrons de Divinitel passent pour de piètres amateurs au vu des sommes incroyables soustraites aux pauvres hères en mal de réconfort. L’escroc du 21ème siècle n’est pas un petit joueur. Il voit grand. A quoi bon s’embêter à écouter les espoirs et les désespoirs si c’est pour ramasser des clopinettes? Alors on écoute, on mystifie et on réclame; toujours plus! Vendez, empruntez et payez, l’avenir vous le rendra. Tel est le mot d’ordre récurent chez les escrocs à la voyance. Et ça marche! 500 euros pour gagner au loto, 3000 euros pour retrouver du travail, 12000 euros pour un retour d’affection, 25000 euros pour vous guérir d’un cancer au stade terminal. Mieux encore: une fausse voyante du Havre, Christelle P., a soutiré 160000 euros à un “client” en lui promettant simplement que “ça ira mieux demain”. Fort heureusement, la gente dame a été condamnée pour escroquerie et doit rembourser sa victime. Il faut être bien demeuré pour payer de telles sommes, pensez-vous, ami lecteur. Faux, il suffit d’être malheureux. Et dans notre société qui se découvre solidaire le temps d’une grand messe médiatique, nul n’est à l’abri de la solitude et du malheur. Telle cette notable de province qui a tout vendu pour sauver le voyant de son cœur, victime d’un douteux enlèvement. 300000 euros pour un bobard, scandaleux non?

Que penser alors de ces cabinets de voyance, rois de l’arnaque au quotidien, qui dépouillent tranquillement des milliers de Français grâce à une astucieuse technique. Leur truc à eux, c’est le téléphone, mobile de préférence. Pluie de SMS surtaxés, offres promotionnelles qui se transforment factures téléphoniques pharaoniques. Les petites arnaques font les gros chiffres d’affaires.
Fort heureusement, il arrive que les victimes se réveillent et se rebiffent. Las, après les promesses de mille bonheurs, les rebelles subissent les foudres d’escrocs mécontents de voir l’agneau se débattre. Grands malheurs et parfois menaces font alors leur apparition. Que fait la police? Pas grand-chose, comme cette bretonne qui s’est entendu dire par un gendarme “vous l’avez bien cherché”. Comment en vouloir à ce fonctionnaire mal informé quand l’Etat laisse planer un vide juridique béant sur cette profession? Depuis 21 ans, une association spécialisée dans les arts divinatoires se bat pour moraliser par la loi une profession apparue avec les premiers humains. Comme pour la prostitution, l’Etat ferme les yeux en tendant toutefois la main pour récupérer les dividendes d’un marché qui représente 3 milliards d’euros annuels. Récemment, l’INAD a de nouveau saisi le Président de la République de la gravité de la situation.

Bertrand Cailac

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