Les Plateformes de voyance:tendance vers une ubérisation 

Voyance, tarot divinatoire, médiumnité, guidances ou astrologie, les termes en vogue ne manquent pas pour parler d’ésotérisme et de spiritualité.
D’Instagram à Facebook en passant par TikTok,Twitch ou Youtube ; il suffit de faire un tour sur internet et les médias sociaux pour constater le vif succès du domaine de la spiritualité.
Internet est un terrain fertile pour qui veut exposer ses supposés dons de voyance ou de médiumnité et le phénomène d’ubérisation de la société participe grandement à l’expansion des pratiques dites occultes et/ou spirituelles sur internet.

Rappelons que l’ubérisation désigne un modèle de plateformisation de l’économie permettant de mettre en relation directe prestataires et demandeurs, de façon instantanée.
Appliquées à la voyance, les plateformes mettent en relation des consommateurs soucieux de connaître leur avenir et des interlocuteurs présentés comme des experts en voyance/médiumnité/astrologie…
Cet engouement pour la spiritualité et l’ésotérisme ne poserait pas de problème majeur si les cas d’escroqueries et d’abus de faiblesses ne se multipliaient pas ces dernières années. Or,l’Institut National des Arts Divinatoires (INAD) en témoigne, les plaintes pour escroquerie s’accumulent dans le domaine.
Les chiffres estimatifs révèlent environ 3 millions de français consommateurs des services de voyances/médiumnité pour un chiffre d’affaires avoisinant les 3 milliards d’euros.
Au regard d’un marché aussi lucratif et d’une réglementation inexistante de la profession, les dérives sont nombreuses mais surtout dangereuses pour les consommateurs facilement addictes.
Loin d’être un simple effet de mode passager, la plateformisation de la voyance/esotérisme soulève de nombreuses questions d’ordre morales, éthiques et juridiques.
Le fonctionnement de ces plateformes de voyance laissent en effet dubitatif quant à leur légitimité professionnelle : les compétences professionnelles des prestataires voyants sont-elles vérifiées et vérifiables ?
Ces plateformes soulèvent par ailleurs des doutes quant à leur statut juridique ainsi que celui des prestataires supposés voyants ou médiums avec qui elles collaborent : Les plateformes agissent-elles en qualité de donneurs d’ordre de ces prestataires ou sont-elles leurs employeurs ?
Faisons le point pour y voir clair.

L’expertise des voyants :une donnée toujours incertaine pour le consommateur

L’absence de réglementation de la profession rend difficilement identifiables les “faux-profils” de voyants.

En effet, le vide juridique en la matière laisse une grande marge de manœuvre à certaines plateformes pour apposer l’étiquette de voyants ou médiums sur les profils qu’elles recrutent.

Il suffit de se rendre sur les pages web de ces plateformes dédiées au recrutement pour s’en rendre compte. Les critères recherchés pour candidater en tant que médium/voyant sont peu précis :
“ résider en France ; être affilié au régime auto-entrepreneur ; avoir une ligne fixe de bonne qualité ; avoir un outil informatique pour planifier et suivre les statistiques ; avoir un don ou un savoir-faire réel, de l’empathie et une conscience professionnelle ; répondre à tous les appels ; avoir un temps moyen de consultation de 20 minutes minimum.”
Même si certaines de ces plateformes mentionnent le passage d’un “ test de voyance ” pour vérifier les compétences d’un candidat, il est impossible de déterminer la rigueur et la qualité de ces tests qui demeurent très subjectifs d’une plateforme à l’autre.

Autant de critères qui ne convainc pas de l’expertise d’un professionnel de la voyance puisque n’importe quel profil peut correspondre à ces critères s’il estime avoir un don.
Par ailleurs, ce qui peut parfois être interprété comme des capacités médiumniques n’est très souvent qu’une habileté à comprendre l’état psychologique d’un interlocuteur.

Écouter l’autre et deviner ses émotions relève davantage de l’intelligence intuitive que de la médiumnité ou de la voyance.
La lucidité du consommateur est donc de mise afin de comprendre que l’expertise des profils travaillant sur les plateformes demeure toujours une donnée incertaine.


Le statut des plateformes de voyance : donneurs d’ordre ou employeur ?

Ce que dit la loi

Comme toutes les plateformes numériques, les plateformes de voyance sont, en principe, de simples intermédiaires mettant en relation des clients et des professionnels.

Lorsqu’une entreprise collabore avec un prestataire externe, elle endosse le rôle de donneur d’ordre mais n’impose pas de directives à son prestataire. Il n’existe aucun lien de subordination entre les deux parties puisque le prestataire est un auto-entrepreneur.

Autrement dit, en qualité d’auto-entrepreneurs, les praticiens des plateformes sont libres d’organiser leur travail et de déterminer les modalités selon lesquelles la prestation de travail sera réalisée. Ils fixent par ailleurs librement leurs tarifs et choisissent leurs clients.

Dans ce sens l’article L. 8221-6 du Code du travail prévoit une présomption d’indépendance des personnes physiques immatriculées notamment au RCS.

Les incohérences des contrats de prestation entre les plateformes et les professionnels de la voyance

Les contrats de prestation signés entre certaines plateformes et les prestataires laissent perplexe.

Les conditions contractuelles du contrat de prestation semblent en effet révéler, un pouvoir de contrôle exercé par certaines plateformes, ainsi qu’une fixation stricte des modalités financières et un pouvoir de sanction normalement attribué à un employeur.

A titre d’exemple, lesdites plateformes n’hésitent pas à préciser dans le contrat de prestation, un planning auquel le prestataire sera soumis pour l’exercice de son activité de voyance.

De même, certains contrats prévoient des sanctions applicables au prestataire en cas d’ absences répétées sans justificatifs tels que la rupture du contrat, sans rémunération ou encore la déduction d’une somme de 2 euros de la facture du prestataire en cas d’appels non reçus par le voyant.

En outre, les tarifs applicables sont déterminés par la plateforme sans négociation possible avec le prestataire indépendant.

Le modèle économique reflète alors un fonctionnement dans lequel le professionnel est soumis à des directives limitant son autonomie, puisqu’en effet, celui-ci semble exercer son activité dans des conditions similaires à celles du salariat.

Une jurisprudence sévère à l’égard des plateformes numériques exerçant un pouvoir de direction sur leurs prestataires

Les cas de jurisprudence montrent que lorsque le donneur d’ordre impose une organisation de travail à son prestataire et contrôle les modalités de réalisation des prestations, il se comporte tel un employeur.

Nous parlons dans ce cas de “salariat déguisé” entraînant la sanction de la requalification du contrat de prestation en contrat de travail.

Dans ce sens, deux arrêts récents renforcent nos doutes quant aux conditions réelles de travail des voyants/médiums avec les plateformes.

Le 28 novembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation considérait que l’existence des pouvoirs de direction et de contrôle exercés par la plateforme sur les livreurs à vélo, ayant un statut d’indépendant, révèle un lien de subordination entre eux entraînant la requalification du contrat de prestation en contrat de travail (Cass. soc 28 novembre 2018 n 17-20.079 Take eat easy).

De même, dans un arrêt du 4 mars 2020 concernant la société UBER, la Cour de cassation requalifiait le contrat de prestation entre le chauffeur indépendant et la société UBER en raison de l’existence d’un pouvoir de contrôle et d’un pouvoir disciplinaire exercé par la plateforme UBER sur le chauffeur (Cass, soc 4 mars 2020 n 19-13.316).

En effet, les juges constataient que la société Uber pouvait supprimer le compte du chauffeur de façon unilatérale et à tout moment ; fixer ses tarifs ou encore contraindre le chauffeur à prendre des passagers.

Les conséquences de la requalification sont importantes pour le donneur d’ordre qui risque :

Sur le plan civil : le versement des rappels de salaires, heures supplémentaires, primes, indemnité compensatrice de préavis, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, etc.

Sur le plan pénal : les sanctions pour travail dissimulé (article L8221-5 du Code du Travail).

Concernant l’Urssaf : les redressements de cotisations et majorations de retard pour toute la durée de la relation de travail.

Enfin, certains profils de voyant exercent sous différents pseudonymes, entrant parfois en relation avec un consultant déjà rencontré sur une autre plateforme. Il devient donc urgent de fixer un cadre réglementaire de la profession afin de limiter les dérives croissantes et mieux protéger les consommateurs.

Myriam Juriste

Textes de référence :

article L. 8221-6 du Code du travail Cass. soc 28 novembre 2018 n 17-20.079 Cass, soc 4 mars 2020 n 19-13.316 article L8221-5 du Code du Travail

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