Descente aux enfers

h2. Comment une voyante a fait fortune en détruisant la vie d’une jeune femme

Au cours de notre vie, nous connaissons tous des hauts et des bas. Quelquefois, les bas sont si bas qu’on a l’impression de toucher le fond. A ce moment là, il est quasiment impossible de trouver seul l’énergie pour remonter à la surface. Alors on se tourne vers un parent, une amie, un psychologue. Quelques uns d’entre nous font appel à une voyante. Parce qu’on pense que cette personne connaît déjà notre histoire, parce qu’on a besoin d’être rassuré un avenir qui paraît fort incertain. Certains voyants apportent une aide réelle aux personnes qui les consultent. D’autres profitent de la détresse qui se présente dans leur cabinet pour dévaliser les comptes en banque.

En 1993, Sandrine a 21 ans. Elle est amoureuse de R… dont elle attend un enfant. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour cette jeune femme qui a la vie devant elle. Mais voici qu’un jour, Sandrine perd son travail. Cet événement, qui pourrait paraître anodin quand on a 20 ans, va faire basculer la vie de Sandrine dans un cauchemar de 8 longues années. Selon les célèbres lois de Murphy, un problème ne survient jamais seul, il en entraîne un second, puis un autre et encore un autre… Ainsi, Sandrine voit-elle son ami la quitter. Puis elle doit quitter son appartement. Enfin, son chien et son chat sont tour à tour écrasés dans la rue. Sandrine touche presque le fond quand elle accouche en janvier d’une adorable petite fille. Mais voilà, le bébé est très fragile et ses débuts dans la vie sont émaillés de problèmes.

h2. La genèse

Ne sachant plus à quel saint se vouer, Sandrine décide d’aller consulter une voyante, juste histoire de savoir si son avenir s’annonce meilleur. Elle prend donc rendez-vous chez Ghislaine, une voyante non déclarée qui reçoit à son domicile. Mathilde accueille Sandrine à bras ouverts, d’autant qu’elle voit en cette très jeune la victime idéale. Perdue, désespérée, Sandrine est alors prête à se raccrocher à quiconque lui apporte un semblant de soutien moral. Mathilde écoute avec beaucoup d’attention l’histoire de Sandrine. Très vite, le couperet tombe: Sandrine est ouverte aux démons, son entourage lui veut du mal et la mitraille de mauvais sorts. Effarée, Sandrine accepte de payer la mise en place de travaux occultes. En huit ans, Mathilde prendra à Sandrine 900 000 francs.

h2. Une intelligence machiavélique

Comme tous les voyous-voyants, Mathilde a su parfaitement utiliser les techniques de manipulations mentales qui permettent de créer une dépendance totale d’une personne vis-à-vis de l’escroc. Elle n’a eu de cesse de souffler le chaud (promesse de bonnes choses) et le froid (promesse de grands malheurs). Prise dans un engrenage, la victime accepte de payer des travaux occultes qui lui permettront de se débarrasser du mauvais œil qui la guette en permanence et de précipiter la venue d’évènements plus enviables. Et, à l’instar de ses charmants camarades voyous-voyants, Mathilde a su faire croire que les travaux occultes étaient réalisés par un mage vivant dans une contrée sauvage située à plus de 5000 kilomètres de la France. Mais ce qui caractérise Mathilde, c’est son extraordinaire intelligence ainsi qu’une mythomanie poussée jusque dans les moindres détails. Bien qu’étant peu instruite (elle saurait à peine lire et écrire), Mathilde est capable de déceler pour chacune de ses victimes les peurs et les angoisses qui les étreignent. Ainsi, elle sait exactement à quel moment prédire tel ou tel malheur. Elle sait également la somme maximale qu’elle peut demander pour réaliser les soi-disant travaux occultes qui permettront d’éviter ces malheurs. En outre, Mathilde a su s’inventer une histoire personnelle en empruntant ça et là des bribes de vie. Elle a su également inventer des personnages qu’elle fait vivre depuis des années dans sa tête et dans celle de ses victimes.

h2. L’ogre et l’enfant

Durant huit interminables années de souffrances, Sandrine a cru, Sandrine a culpabilisé, Sandrine a payé. Mathilde est rapidement devenu la confidente, la protectrice et la conseillère de Sandrine. Dès le début, mathilde prend en main la santé chancelante de Sophie, la fille de Sandrine. Elle fait très vite croire à Sandrine qu’il faut faire différents travaux occultes pour améliorer la santé de Sophie Car en l’absence de travaux occultes, Sophie est condamnée à mort. Paniquée, culpabilisée, Sandrine paie. Evidemment la santé de Sophie s’améliore un peu et Sandrine croit en Mathilde, sans même penser que la médecine y est pour quelque chose. Dès lors, Mathilde fait tout pour s’accaparer Sophie Elle va jusqu’à prétexter que certains travaux occultes nécessitent la présence de Sophie pour que Sandrine lui confie l’enfant. Avec le temps, Sophie refuse de plus en plus d’aller chez cette personne qu’elle redoute au plus au point. Car Sophie vit chez Mathilde un véritable calvaire. Petite fille éduquée, Sophie doit supporter la violence de la fille cadette de Mathilde. Elle se voit même régulièrement accusée des innombrables bêtises commises par cette dernière. Clamant son innocence, elle est pourtant réprimandée par sa mère qui, à cette époque, ne peut croire que Mathilde lui raconte des bobards. Sophie sera sans doute marquée à vie par cette expérience douloureuse vécue durant sa prime jeunesse. Mais Mathilde n’en a cure.

h2. Il était une fois…

Mathilde profite des évènements pour renforcer son aura auprès de Sandrine. Sachant la mère de Sandrine menacée de licenciement, Mathilde demande 12000 francs à sa victime pour lancer des travaux occultes en vue d’une réhabilitation. Quelques temps plus tard, la mère de Sandrine récupère son travail et Mathilde ne manque pas de s’approprier la chose. Plus tard, la mère de Sandrine voit apparaître une tache sur son ventre. Pour Mathilde, c’est un cancer et l’occasion de soutirer de l’argent à Sandrine. Des travaux occultes sont soi-disant réalisés et la tache disparaît. Sandrine en sera une fois de plus très reconnaissante envers sa protectrice. Elle apprendra des années plus tard qu’il s’agissait en fait d’une allergie à un bain moussant et que sa mère avait tout simplement changé de marque. Ainsi, de promesses de cancers en promesses d’accidents, Mathilde va gentiment soutirer de l’argent à Sandrine. De 1993 à 1995, les sommes ainsi escroquées sont soit-disant confiées à Olive, grand-mère d’une certaine Patricia, qui servent d’intermédiaires entre Mathilde et le mage. Un truc très répandu dans le milieu de l’arnaque à la voyance. Sandrine n’a jamais vu Olive ou Patricia, de même qu’elle n’a jamais vu Walibi. Cet étrange personnage apparaît début 95 et devient le nouvel intermédiaire. Olive, la vieille femme indigne devait sans doute être trop fatiguée pour continuer ses longs voyages imaginaires. Pur produit de l’imagination de Olive, Walibi est décrit à Sandrine comme un grand noir d’une quarantaine d’années, ayant la particularité d’avoir les yeux bleus. Son nom a été trouvé par Sandrine alors que Mathilde semblait incapable de prononcer un nom aux consonances africaines. Le plus amusant est que Mathilde se persuadera elle-même que le grand noir s’appelle réellement Walibi (J’en suis baba). A cette même époque, Mathilde annonce à Sandrine que d’importants travaux doivent être effectués un jour précis de janvier (date d’anniversaire de Sophie) pour mettre un terme définitif à tous les problèmes de Sandrine et de son entourage. Rendez-vous est donc pris pour cette date. Le jour J venu, Sandrine reçoit un coup de fil d’une personne qui lui indique que tout est annulé. Elle part donc à son travail. C’est alors que Mathilde l’appelle pour lui reprocher de ne pas être venue et que tout a échoué. Sandrine et sa famille vont donc continuer à souffrir, à moins que… Vous l’avez deviné, notre Zorro de banlieue se propose de porter secours à la jeune femme en détresse. Mais voilà, Tornado s’est carapaté et Zorro doit mettre de l’essence dans sa voiture. Sandrine doit payer, et en octobre 1995 elle contracte son premier crédit (60 000 francs). En effet, une “mère” a fait des petits en elle. Il faut l’en débarrasser, ainsi que sa fille qui a été infectée pendant la grossesse. Il apparaît évident que Mathilde est une incontournable fan d’Alien, mais Sandrine ne s’en rend pas compte. Elle paye donc, se couvrant de dettes sans s’apercevoir qu’elle paie pour du vent. Personne dans son entourage ne peut lui faire ouvrir les yeux. Et pour cause. Utilisant les méthodes des sectes, Mathilde éloigne de Sandrine toute personne capable de lui faire voir la vérité. L’affaire est simple: chaque fois que Sandrine fait une nouvelle connaissance, Mathilde déclare que cette personne veut du mal à Sandrine. Et la jeune femme rompt immédiatement les liens qui commençaient à s’instaurer.

h2. Le début de la fin

Mathilde et Sandrine sont devenues si intimes que Sandrine fait la connaissance de la famille de sa protectrice, et notamment de Daniel, le neveu de Mathilde. Les jeunes gens se plaisent et se fréquentent de plus en plus régulièrement. Dans le même temps, Sandrine commence à avoir des doutes quant à la réalité des multiples travaux occultes mis en route par Mathilde. Elle s’aperçoit vite que la voyante fait de faux numéros lorsqu’elle téléphone devant elle et qu’il lui arrive parfois de s’emmêler les pinceaux dans les histoires qu’elle lui raconte. Sandrine commence enfin à comprendre que Walibi n’est qu’un parc d’attraction et que Mathilde la manipule. Sentant le vent tourner, Mathilde tente d’éloigner Sandrine de son neveu, ce dernier étant également très critique vis-à-vis de la pseudo-voyante. Mais Sandrine et Daniel tiennent bons. Mathilde devient de plus en plus menaçante et promet les pires malheurs à Sandrine et sa famille si cette dernière ne revient pas dans son giron. Fort heureusement, cette fois Sandrine ne se laisse pas ensorceler et en septembre 2001 elle cesse toute relation avec Mathilde. Sandrine a décidé, avec l’aide de l’Inad, de poursuivre Mathilde en justice. Sandrine souhaite que la Justice puisse sanctionner Mathilde et l’obliger à mettre un terme à ses activités qui ont jeté dans le désespoir et la misère plusieurs autres victimes.

h2. Une personnalité digne d’Hannibal le cannibale

Aujourd’hui environ 70% du salaire de Sandrine passe dans le remboursement des emprunts qu’elle a contracté pour payer Mathilde. Elle ne pense pas pouvoir récupérer les 900 000 francs qu’elle a versé à l’arnaqueuse durant ces huit années de calvaire. Puisque seuls 210 000 francs ont été réglés par chèque ou par virement. Le reste a été versé en liquide. Car une fois encore Mathilde fait preuve d’une intelligence remarquable. La quarantaine à peine abordée, bénéficiaire du RMI, déclarée célibataire alors qu’elle vit avec son ami en banlieue parisienne Mathilde aime le luxe et mène un train de vie bourgeois. Elle roule belle voiture, part en vacances en Espagne dans une villa avec piscine, va au casino, joue au tiercé, s’offre une liposuccion, s’achète une télé à 12000 balles et fait réaliser de coûteux travaux d’aménagement de son habitation. Un tel train de vie devrait immanquablement attirer l’attention de la sécurité sociale et du fisc. Et bien non, car la mégère est finaude: les biens sont achetés au nom de son ami et les travaux sont payés au black. Mathilde mène une vie de jet-set de banlieue sur le dos de l’Etat et surtout sur la vie brisée de ses victimes. Est-elle parfois atteinte de remords? Lui arrive-t-il de faire des cauchemars ? Que nenni ! Mathilde est de ces intelligences froides, dénuées de tous sentiments. Seuls l’intéressent l’argent et cette minable notoriété qu’elle entretien de façon maladive auprès des personnes qu’elle côtoie. Car Mathilde a un impérieux besoin de reconnaissance. Elle ne peut vivre sans que l’attention soit focalisée sur elle de quelque manière que ce soit. Elle a besoin de dominer, de posséder son entourage au point de phagocyter les gens qui l’approchent, de les ‘‘vider de leur vie’’. Mathilde n’aime pas les autres et son coeur est aussi vide que le compte en banque de ses victimes.

Bertrand CAILAC

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