LA VOYANCE A LA SAUCE AUDIOTEL

En France, la voyance peut rapporter gros. Des centaines d’affairistes organisés en véritables industries de la détresse humaine l’ont compris et agissent en toute quiétude.

C’est la crise! Quand se nourrir devient un vrai casse-tête financier, la ménagère de tous âges se demande que faire. Que faire pour la retraite minable de mes parents? Que faire contre le chômage qui ronge mon mari? Que faire contre ces stages qui ne nourrissent pas mes gosses? Pas grand-chose. Quoique, voyons… Voir, oui, c’est peut-être ça la solution. Voyez, braves gens! Il n’est pas question ici de suivre les préceptes de ces richissimes prédicateurs qui voient Dieu partout, et surtout dans leur portefeuille d’actions. Moi, je vous parle de voyance ma bonne dame. Et encore, pas de la vraie voyance, celle qui vous vient par hasard, un jour de grand dévouement, celle qui vous ouvre les portes de l’inconscient collectif pour vous permettre de visiter une infime parcelle de l’espace temps. Je vous parle de la voyance spectacle, celle qui rapporte. Celle des petits malins qui n’ont pas plus de dons qu’un cul de jatte n’a d’orteils.

Pour pratiquer ce genre de voyance, il faut savoir, bien plus qu’un politicien, écouter la détresse humaine, comprendre les attentes, pour enfin promettre à chacun ce que chacun souhaite entendre: “le bonheur est pour demain… Ou après demain. Pour être un voyou-voyant, il faut être armé bien sûr, mais de qualités intellectuelles plus que de plomb: patience, intelligence et psychologie narcissique. Le tout étant dévoué à la réalisation d’un unique but, l’enrichissement personnel. Depuis l’aube de l’humanité, des esprits malins ont compris tout le parti que l’on pouvait tirer des errements de l’âme humaine et en particulier de la peur du lendemain. Puissance, gloire et fortune ont toujours accompagné ceux qui savent sonder cet inconnu que l’on nomme futur. Du moins, ceux qui savent faire croire qu’ils savent…

Longtemps, l’escroquerie à la voyance a été le fait de petits escrocs, qui se contentaient de dépouiller les malheureux de leur secteur. Avec l’arrivée des moyens de communications modernes, les petits escrocs de quartier ont laissé la place à de véritables entreprises de l’arnaque en masse. Souvenez-vous de Divinitel, cette société spécialisée dans la voyance par téléphone et minitel qui, au début des années 90, allégeait les comptes bancaires de milliers de Français trop naïfs. Le dirigeant de cette société avait engrangé de larges profits avant de rendre des comptes à la justice. Le grand coup de balai médiatique qui avait suivi ce scandale n’avait nettoyé que le Paysage Audiovisuel Français, écartant des ondes pour quelques temps Patrick Sabatier et son mage, Danielle Gilbert et sa bague de Ré. Mais avec le temps, les escrocs se sont informatisés. Dématérialisés, ils ont eu vite fait de tisser leur toile sur la toile du web.

Aujourd’hui, l’escroquerie à la voyance se pratique à très grande échelle, de façon virtuelle pour des sommes qui sont bien réelles. Et le patron de Divinitel passe pour un piètre amateur au vu des sommes incroyables soustraites aux pauvres hères en mal de réconfort. Car l’escroc du 21ème siècle n’est pas un petit joueur. Il voit grand. A quoi bon s’embêter à écouter les espoirs et les désespoirs des pauvres gens si c’est pour ramasser des clopinettes? Laissons cela au psychologue, le voyant doit jouir de la vie. Alors on écoute, on mystifie et on réclame: toujours plus! Vendez, empruntez et payez, l’avenir vous le rendra (peut-être). Tel est le mot d’ordre récurent chez les escrocs à la voyance. Et ça marche! 500 euros pour gagner au loto, 3000 € pour trouver un travail facile et bien payé, 12000 € pour un voir revenir un mari volage, 15000 € pour un mariage karmique, 21000 € pour trouver l’âme sœur, 25000 € pour vous guérir d’un cancer au stade terminal. Mieux encore, se faire passer pour un expert et blablater ses clients pendant des heures à 3 euros la minutes. C’est discret, c’est virtuel, c’est chic, c’est ce que le Français moyen demande. Des tarifs exorbitants qui devraient en rebuter plus d’un. Malheureusement, de même que les Français continuent à rouler malgré un gas-oil à 1.50 euros, ils sont de plus en plus nombreux à s’endetter pour croire en un avenir meilleur. Certes, les esprits bien pensants clameront qu’il faut être idiot pour dépenser de telles sommes en échange de quelque promesse de lendemains qui chantent. De prime abord, on serait tenté de leur donner raison, mais en prenant le temps d’écouter les histoires des victimes, on se rend vite compte qu’il suffit d’être malheureux. Non, même pas malheureux: seul. Seul, tout le monde le devient en croyant, ou en feignant de croire, qu’on a des centaines d’amis et de followers sur Facebook et Twitter. On se montre, on s’exhibe dans les moindres recoins de notre intimité, on se régale des petits déboires ou des grands malheurs des autres. On est choqué par un fait divers ou une grosse catastrophe, mais juste le temps d’un com déposé à la va-vite en 120 caractères et 57 fautes.

Seulement, quand on est soi-même atteint par la malchance, ben on se rend compte que les autres sont à l’identique: superficiels, intéressés par eux-mêmes, aussi exhibitionnistes qu’égocentriques. A partir de ce moment là, Facebook et Twitter apparaissent sous leur vrai jour: un monde virtuel, peuplé d’amis virtuels, où même l’émotion est virtuelle. Maladie, chômage, solitude sont des mots qui résonnent dans le vide d’Internet. Ces souffrances ne passent pas la barrière du firewall. Retour difficile au monde réel où l’on ne connaît même plus ses voisins. Alors, quand les voisins, la famille et les amis ne veulent rien entendre ni comprendre, on se tourne vers la seule chose qui guide l’âme humaine depuis l’aube de l’humanité: l’irrationnel. Dès le début de l’ère moderne, le voyant a remplacé le chaman, et les consultations sont passées de l’intérêt collectif au destin personnel. A l’ère du virtuel, les sociétés web-anonymes ont renvoyé Madame Irma au musée.

Comme cela se passe dans n’importe quel secteur commercial, des petits malins ont vite compris qu’il existait une demande forte en matière de voyance. Du moins ont-ils compris que des milliers de gens étaient prêts à payer pour être écoutés, entendus, compris et enfin rassurés. Le domaine des arts divinatoires est si vaste et si irrationnel que tout individu désireux de faire carrière n’a que l’embarras du choix de la spécialité à exercer: astrologie, cartomancie, géomancie, maraboutisme… Et comme dans n’importe quel autre domaine, l’escroquerie est devenue affaire d’entreprises multinationales. Tout se passe à distance, sur le net ou par téléphone. Il en va de la voyance comme de l’assurance. A la télé, à la radio, sur internet, on vous appâte en vous faisant croire que toute une entreprise est mobilisée pour prendre soin de votre avenir. Il y en a même qui ont trouvé le moyen de s’associer à une émission de radio ou de télévision, histoire de s’offrir une légitimité. L’historique “vu à la télé” est toujours d’actualité. En plus subtil. Ce genre de publicité, pardon, de partenariat, coûte beaucoup d’argent. Et en rapporte mille fois plus. Associer son image à une émission de télé ou de radio, c’est comme recevoir la bénédiction du pape. Ça ouvre les portes du paradis… financier. Et on peut plumer les clients en toute sérénité, tout en exploitant quelques étudiants ou chômeurs en mal de salaire, aussi petit soit-il. Au final, comme dans les entreprises plus conventionnelles, les seuls gagnants de l’histoire sont les actionnaires. Qu’importent les moyens pourvu qu’on ait les dividendes.

Et quand une victime, client ou employé, se rebiffe, c’est le rouleau compresseur qui se met en marche. Fortes de leurs avocats largement payés, ces entreprises attaquent sans vergogne et font feu de tous bois. Que peut faire une humble personne face à des spécialistes du dénigrement qui savent comment faire pression sur un individu le plus légalement du monde. Harcèlement moral et judiciaire, destruction de l’image, rien n’échappe à la vindicte des entreprises de l’arnaque. L’Inad en a souvent été témoin, même la cible. Quand on sert de bouclier pour les petits contre les ogres de la consommation, on prend forcément les coups.

Fort heureusement, la Justice Française demeure encore impartiale et récemment encore, un géant de la com s’est cassé le nez en croyant réduire l’Inad au silence. Et du côté de l’exécutif comme du côté du législatif, l’Etat semblent avoir pris conscience de l’incroyable impunité dont bénéficiaient les escrocs à la voyance en France, grâce, notamment au brouillard juridique qui baigne les professions des arts divinatoires. Reconnaître l’existence de ces professions, c’est leur donner un cadre légal, et donc permettre de sanctionner sévèrement ces escroqueries qui minent la vie de milliers gens .

Bertrand Cailac

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