Escroquerie à la voyance: 167 000 €

Condamnée pour avoir escroqué 167000 euros, une jeune femme ‘‘manipule la Justice’’ au point que sa victime ne peut pratiquement rien récupérer.

Marcel mène une vie paisible dans les Alpes. Célibataire, la quarantaine, il a un boulot tranquille, une vie privée calme. Bref, il n’est pas en prise avec de gros soucis d’argent, de travail ou d’amour. Mais ce traintrain quotidien est sans saveur et sans couleur. Comme beaucoup de Français, Marcel s’intéresse aux sciences occultes. Ceci l’amène à rencontrer, à Sion en Suisse, le Père Jean Bosco. Ce prêtre capucin décèle en Marcel un mal être sournois et réalise pour lui un dégagement à l’aide de prières d’exorcisme. Mais le prêtre est âgé et remet Marcel aux bons soins du Père Jean René de l’accueil Saint Irénée à Paris. Inutile de préciser que les actions des Pères Bosco et René sont totalement bénévoles. Que l’on croit ou non en l’envoûtement, ces prières ne peuvent faire que du bien et ni la vie de Marcel ni son portefeuille ne sont mis en danger.

Mais en 1995, un ami de Marcel lui conseille de prendre contact avec Christiane, une voyante du Havre. Comme tous les voyous voyants, Christelle P. a plus d’une corde à son arc : elle est voyante, médium, astrologue, numérologue… Marcel contacte donc Christelle P. par téléphone et lui raconte son histoire. Aussitôt Christelle P. comprend que Marcel est en attente de quelque chose et elle décide de prendre sa vie en mains, sans oublier son argent. Devant l’at¬tachement de Marcel pour le Père Jean Bosco, Christelle P. annonce qu’elle est en contact médiumnique avec le prêtre alors décédé. C’est le coup de génie qui permet à l’arnaqueuse d’assujettir Marcel à sa volonté. Ce dernier ne pense même pas à demander une preuve quelconque de ce contact médiumnique. Très attaché au souvenir du Père Jean Bosco, Marcel croit dès lors que Christelle P. a été désignée pour succéder au prêtre. La pseudo voyante lui indique d’ailleurs que le prêtre lui a deman¬dé de pratiquer des séances d’astro¬logie et de numérologie pour Marcel. Mais à la différence du Père Bosco, Christelle P. fait payer ses services. Bien payer même.

Petit à petit, Christelle P. réus¬sit à se donner une image d’ange gardien et à rendre Marcel totalement dépendant d’elle: c’est une véritable manipulation mentale digne des pires sectes. Au point que Christelle P. n’a pas à utiliser les traditionnelles «visions» d’accidents ou de maladies pour garder son emprise sur Marcel. Tout juste indique-t-elle à Marcel de ne parler à personne de ce qu’elle fait pour lui. C’est ainsi que, sans le moindre don si ce n’est celui de dire aux gens ce qu’ils souhaitent entendre, Christelle P. soutire à Marcel plus de 167 000 euros (1,1 million de francs) en quatre années.

En 1999, à Genève, Marcel rencontre une personne qui lui dit qu’il fait trop confiance à un tiers et que cette dernière profite de sa crédulité. Maurice pense immédiatement à Christelle P.. Il repense à ces quatre années et se rend compte qu’il est l’objet d’une manipulation mentale visant à lui soutirer une véritable fortune. En novembre 1999, Marcel téléphone à Christelle P. qui lui demande 22 000 euros pour des tra¬vaux occultes. Soupçonneux, Marcel demande des détails et surtout à quoi sert l’argent. Comme toujours dans ce genre d’arnaque, Christelle P. affirme à sa victime que cet argent n’est pas pour elle et que la providence le lui rendra. Elle lui annonce d’ailleurs un prochain gain au loto. Vous l’avez compris, l’agent n’est pas pour Christelle P. mais pour son plaisir et la providence c’est juste Marcel qui devra travailler jusqu’à 120 balais pour gagner l’argent que l’escroc lui a soutiré. Devant la réticence de Maurice à régler ces 22000 euros, Christelle P. revient aux arguments traditionnels des escrocs à la voyance et indique à sa victime qu’en cas de non paiement, le travail réalisé depuis quatre ans sera annulé.

Mais voilà, fort de trois enregistrements de conversations téléphoniques avec Christelle P., Marcel se rend à la gendarmerie pour faire une déposition. Il contacte un avocat qui, peut au fait de ce genre d’escroquerie, aiguille mal Marcel dans ses démarches. Le résultat est catastrophique: en février, le tribunal rend un non lieu pour absence d’effraction! Informé du non lieu en juillet, Marcel contacte l’ADFI de son sec¬teur qui ne peut guère l’aider, cette affaire ne concernant pas une secte. En septembre, il contacte une association qui profite de l’occasion pour soutirer à Marcel 4500 euros uniquement pour l’informer que Christelle P. n’habite plus à l’adresse indiquée. C’est ainsi que Marcel tombe de Charybde en Sylla, se faisant littéralement enfoncer par tous ceux qui devraient l’aider. Ainsi en est-il également d’un psychiatre qui le culpabilise au lieu de l’aider à surmonter l’épreuve.

Finalement, Marcel confie l’affaire à un avocat parisien. Plainte est aussitôt déposée contre Christelle P. pour escroquerie et abus de faiblesse. Une enquête menée par la Section des Enquêtes Financières de la Police du Havre prouve que Christelle P. a bien escroqué Marcel pour un montant total de 167.000 euros. L’enquête démontre également que Christelle P. ment de façon délibérée. Rusée comme un escroc de haut vol, Christelle P. se dépêche de demander à être soignée en psychiatrie à peine reçoit-elle la convocation de la Police. L’instruction relève alors de nombreuses invraisemblances entre les propos de Christelle P., les témoignages des tiers et les résultats de l’enquête financière menée par le Commandant Guenan. Ainsi Christelle P. déclare-t-elle que l’argent soutiré à Marcel lui a servi à faire face aux dépenses de la vie courante et au règlement de mensualités d’achat d’un appartement. Mais le père de Christelle P. contredit sa fille en affirmant qu’il a dû régler pour sa fille les mensualités de l’appartement. Et surtout, l’étude des relevés des nombreux comptes bancaires de Christelle P. prouve que la majorité des sommes encaissées est ressortie des banques en espèces.

Malheureusement, que ce soit au cours de l’instruction comme lors du procès, nul n’a cherché à savoir exactement ce qu’étaient devenus les 167000 euros. Tout prouve que Christelle P. est une manipulatrice et une menteuse, qu’elle a agi de façon réfléchie et en sachant parfaitement les conséquences de ses mensonges tant sur son compte bancaire que sur la vie de Marcel Cependant, Christelle P. joue à fond la carte psychiatrique et parvient presque à faire croire au tribunal qu’elle est une victime.Condamnée malgré tout pour escroquerie, Christelle P. doit verser à Marcel 167.194 euros pour le préjudice financier, 1500 euros pour préjudice moral et 750 euros de frais de justice.

Tout s’arrange pour Marcel pensez-vous. Pas du tout, bien au contraire. Car le Juge d’Application des Peines décide que Christelle P. doit rembourser Maurice L.au rythme de 100 euros par mois, ramenés ensuite à 70 euros. Marcel devra donc attendre plus de 140 ans pour récupérer son bien. Encore faut-il que Christelle P., qui a déclaré à plusieurs reprises vouloir réparer le préjudice “dès que possible”, verse ces 70 malheureux euros de façon régulière. Ce qui est loin d’être le cas.

Quand une personne a des dettes envers l’administration, la sécurité sociale ou une entreprise, des mesures de saisies de biens ou de saisies sur salaires sont rapidement appliquées. Dans le cas de Marcel, aucune mesure n’a été prise pour assurer à la victime le remboursement du préjudice subi. Manque de moyens ou manque de temps, la Justice s’est montrée particulièrement laxiste vis à vis de Christelle P. qui a escroqué une personne particulièrement vulnérable mais aussi l’Etat. En effet, Christelle P. a déclaré elle-même ne s’être installée officiellement que le 7 juillet 1998 et avoir exercé son activité de voyante de façon rémunérée au cours des deux années précédentes. Un aveu de travail au noir qui n’a entraîné aucune conséquence fiscale ou juridique. Alors que Marcel a été littéralement plumé par toutes les personnes auxquelles il s’est adressé, Christelle P. s’en est sortie par une manipulation grossière. Bien que les enquêteurs aient découvert que cette pseudo voyante avait ouvert plusieurs comptes dans différentes banques, nul n’a cherché à en savoir plus sur le devenir de des 167000 euros qu’elle a soutirés à Marcel A ce jour, Christelle P. ne verse plus qu’une trentaine d’euros à sa victime. Sa période probatoire de trois ans étant terminée, elle peut faire ce qu’elle veut. Dans quelques semaines sans doute, elle ne versera plus rien. En toute impunité… Car une fois le procès terminé et la condamnation énoncée, la Justice se lave les mains et les victimes des escrocs se retrouvent seules face à leur bourreau.

Toujours aussi perdu dans sa vie quotidienne et à présent délesté de toutes ses économies, Marcel continue donc de chercher aide et secours dans le milieu des arts divinatoire. Ce qui amène à réfléchir sur un autre problème important en matière d’escroquerie à la voyance: la responsabilité des consultants dans l’arnaque dont ils sont victimes. Dans certains cas, comme ici avec Maurice, on peut en effet se demander si les escrocs à la voyance ne voient pas leur tache facilitée par leurs clients. Comment est-il possible que l’on puisse accepter ainsi de verser des dizaines de milliers d’euros sur la seule promesse d’un avenir meilleur? Depuis plus de 20 ans l’Inad n’a de cesse d’informer les consommateurs sur les pseudos voyants et les méthodes qu’ils utilisent pour escroquer les personnes désespérées. Régulièrement des émissions de télé et des articles de presse mettent à la une des arnaques à la voyance. Pourtant chaque semaine l’Inad reçoit des appels à l’aide de nouvelles victimes de ces voyous qui gangrènent les arts divinatoires. Est-il possible qu’à l’ère de la communication tous azimuts, aucune de ces personnes n’aient entendu parler des arnaques qui ont lieu chaque jour? Faut-il que nous soyons devenus si assistés pour que nous foncions ainsi tête baissée dans un mur en pensant “il y aura sûrement quelqu’un pour réparer les dégâts”. Le cas de Marcel est symptomatique de ce genre de raisonnement. Depuis bientôt cinq ans, Monsieur Maurice se plaint qu’il ne peut récupérer les 160000 euros dont il a été délesté par Christelle P. Depuis bientôt cinq ans, iL peste contre les enquêteurs, le juge, son avocat, les journalistes, tous ces gens qui ne font rien pour l’aider. Mais depuis bientôt cinq ans, il ne se passe pas une semaine sans que Monsieur Maurice ne consulte des pseudos voyantes ou ne participe à des séminaires ou des stages bidon. Ce qui est assez incroyable, c’est que Marcel n’est pas la seule victime d’une escroquerie à la voyance à n’avoir pas tiré de leçon de sa mésaventure et à continuer à consulter n’importe qui. En parcourant les histoires de victimes d’escroqueries à la voyance qui se sont adressées à l’Inad, on se rend compte qu’ils sont nombreux ceux qui ont recours à des pseudos voyants ou des marabouts pour tenter de récupérer l’argent qu’ils ont perdus auprès d’autres pseudos voyants.

Cette histoire donne beaucoup d’espoir à tous les escrocs de France, qu’ils œuvrent dans le domaine de la voyance ou dans n’importe quel autre domaine. A l’inverse elle augure mal de l’avenir des milliers de personnes que la vulnérabilité psychologique ou sociale expose immanquablement aux affres de l’escroquerie et d’une Justice dénuée de moyens. Car en cette année où la crise sociale et financière va attirer toutes les attentions, il n’est nul besoin d’être devin pour prédire que la moralisation de la pratique des arts divinatoires ne sera pas la priorité d’un Etat qui bénéficie des rentrées substantielles de ces métiers non reconnus par la loi mais taxés par le fisc.

Bertrand CAILAC

INAD: Le nom de la victime a été volontairement remplacé par un pseudonyme.

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